l'analogie avec la torture par Réginald 2025-07-24 09:10:12 |
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Il me semble utile, à propos de la torture comme de l’esclavage, de rappeler que l’Église n’a pas toujours perçu immédiatement toutes les implications de la dignité humaine. Voici comment, sans changer de doctrine, elle a progressivement clarifié sa position.
1. Une tolérance initiales
A l’époque médiévale, dans un contexte d’unité entre pouvoir civil et autorité ecclésiastique, l’Église a pu tolérer, voire encadrer juridiquement, l’usage de la torture comme moyen d’enquête dans les procès d’hérésie. C’est ce que manifeste la bulle Ad extirpanda, promulguée par le pape Innocent IV le 15 mai 1252, peu après l’assassinat de l’inquisiteur Pierre de Vérone par des cathares. Ce texte autorise explicitement l’emploi de la torture par l’Inquisition, sous certaines conditions précises.
La bulle interdit que la torture mette en péril la vie ou l’intégrité physique de l’accusé, mais elle reconnaît néanmoins la légitimité d’un traitement coercitif visant à obtenir des aveux. Au nom de la défense de la foi, l’Église admet donc — dans un cadre juridique strict — une atteinte grave à la personne humaine. Il convient toutefois de noter qu’il ne s’agissait pas là d’une doctrine affirmée comme telle, mais d’une mesure disciplinaire adaptée à un contexte historique donné, marqué par l’influence du droit romain et par une conception alors plus rudimentaire des droits de la personne.
2. Une remise en cause progressive
A mesure que mûrissaient la conscience morale chrétienne et la réflexion sur la dignité humaine, l’Église a commencé à remettre en cause la légitimité de la torture. Ce processus d’évolution se manifeste concrètement dès l’époque moderne, notamment sous le pontificat de Pie VII. Dans son motu proprio Quando per ammirabile disposizione (6 juillet 1816), le pape abolit officiellement l’usage de la torture dans les États pontificaux, y compris la peine dite « de la corde » (suspension par les bras liés derrière le dos). L’article 96 du texte déclare :
« L’usage des tourments, et la peine de la corde, tous deux déjà interdits, sont désormais abolis de manière perpétuelle ; et à cette dernière est substituée la peine d’un an de travaux. »
Ce geste marque un tournant décisif. Il ne s’agit plus d’une simple réforme disciplinaire ou d’un adoucissement pragmatique : l’abolition perpétuelle témoigne d’une volonté explicite de rompre avec une pratique jugée désormais incompatible avec une justice respectueuse de la personne humaine.
3. Une condamnation explicite par le magistère du XXe siècle
Ce mouvement de clarification se poursuit au XXe siècle. Dans un discours adressé le 3 octobre 1953 au VIe Congrès international de droit pénal, le pape Pie XII condamne sans ambiguïté la torture physique et psychique. Il déclare notamment :
« L'instruction judiciaire doit exclure la torture physique et psychique et la narco-analyse, d'abord parce qu'elles lèsent un droit naturel, même si l'accusé est réellement coupable, et ensuite parce que trop souvent elles donnent des résultats erronés. »
Par ces paroles fortes, Pie XII fait de l'interdiction de la torture non seulement une exigence morale mais aussi une obligation fondée sur le droit naturel. Il souligne en outre que la torture engendre fréquemment de faux aveux, obtenus non par reconnaissance de culpabilité mais par épuisement physique ou psychique.
De la tolérance médiévale à la condamnation explicite du XXe siècle, l’évolution de la position de l’Église sur la torture suit une dynamique analogue à celle observée pour l’esclavage. Elle ne marque pas un reniement doctrinal, mais une mise en œuvre plus fidèle, plus lucide et plus profonde de l’Évangile. Cette évolution témoigne d’une maturation progressive de l’intelligence chrétienne du droit naturel et du respect dû à la dignité de la personne humaine.
Faut-il en conclure que Pie VII et Pie XII se sont trompés ? Ou bien reconnaître que la vérité peut se déployer progressivement, sans trahir sa source ?
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