réponse détaillée par Réginald 2025-07-19 00:05:37 |
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Il faut reconnaître que c’est la première objection vraiment sérieuse formulée dans ce fil, et elle mérite donc d’être traitée avec précision.
Lorsque saint Thomas, notamment dans le Quodlibet IX, q. 8, affirme qu’il faut « pie credendum » ( il faut croire pieusement) que les canonisations pontificales ne peuvent contenir d’erreur, il n’utilise pas encore le langage technique qui sera systématisé après Vatican I. Il exprime cependant une adhésion que la théologie postérieure qualifiera de fides ecclesiastica.
L’expression « croire pieusement » ne désigne nullement une foi dévote et sucrée au sens de crédulité mièvre, mais une adhésion fondée sur la piété filiale envers l’Église : une confiance pleine dans son jugement doctrinal, même lorsqu’il ne porte pas sur une vérité directement révélée. C’est l’attitude du fils de l’Église, qui reconnaît dans ce jugement une expression authentique de son magistère infailliblement assisté, même si l’objet de ce jugement n’est pas explicitement contenu dans le dépôt de la Révélation.
Les manuels de théologie distinguent classiquement deux types de vérités infailliblement enseignées :
1. Celles qui doivent être crues (credenda) de manière irrévocable, parce qu’elles sont révélées par Dieu et proposées comme telles par l’Église ; elles relèvent alors de la fides divina et catholica.
2. Celles qui doivent être tenues fermement (tenenda), bien qu’elles ne soient pas directement révélées, mais nécessairement connexes à la Révélation — par exemple les faits dogmatiques : la légitimité d’un concile ou d’un pape, ou encore l’infaillibilité des canonisations. Elles requièrent alors l’assensus fidei ecclesiasticae.
Cette foi ecclésiastique se distingue de la foi divine tant matériellement (l’objet n’est pas révélé en soi, mais lié à la Révélation) que formellement (l’autorité sur laquelle elle repose n’est pas Dieu révélant, mais l’Église infailliblement assistée). Il ne s’agit donc pas d’un assentiment théologal au sens strict, mais d’un acte de foi fondé sur l’indéfectibilité de l’Église dans sa mission doctrinale.
Cela implique que :
1. L’infaillibilité des canonisations n’est pas un dogme de foi au sens strict, c’est-à-dire une vérité révélée explicitement dans le dépôt de la Révélation ;
2. Elle relève néanmoins d’un jugement infaillible de l’Église, auquel il est requis d’adhérer, en raison :
o de l’assistance divine garantie à l’Église dans l’exercice de son autorité suprême ;
o du scandale qu’impliquerait une erreur (proposer au culte de dulie un damné) ;
o et de la finalité même de la canonisation, qui est d’offrir à toute l’Église un modèle sûr de sainteté et un intercesseur fiable.
Comme le souligne Cartechini, nier que saint Louis de Gonzague est au Paradis, ou refuser l’infaillibilité pontificale dans les canonisations, constitue une proposition “proche de l’hérésie” (proxima haeresi), (De valore notarum theologicorum et de criteriis ad eas dignoscendas, Rome, 1951, p. 77). En effet un tel refus ne relève donc pas d’un simple désaccord personnel : il compromet la confiance que l’Église exige dans ses jugements solennels, car il implique, au moins implicitement, la négation de l’infaillibilité doctrinale de l’Église, qui est elle-même une vérité révélée.
Ce type d’adhésion est du même ordre que celui par lequel un catholique reconnaît que Pie XII fut légitimement élu pape : il ne s’agit pas d’un article de foi révélé, mais d’un fait dogmatique, dont la négation ébranlerait l’indéfectibilité de l’Église et rendrait inopérante la Bulle de proclamation de l’Assomption.
PS1 : Il est inexact de prétendre que la notion de fait dogmatique serait une « nouveauté introduite par Fénelon ». Cette distinction est bien antérieure à lui et s’enracine sur un principe déjà explicite chez saint Thomas d’Aquin, qui écrit :
« Une chose se rapporte à la foi de deux manières : directement et à titre principal, comme les articles de la foi ; ou bien indirectement, comme ce qui entraîne la corruption d’un article. » (IIa-IIae, q. 11, a. 2)
Ce principe fonde la capacité de l’Église à enseigner infailliblement non seulement les vérités révélées en elles-mêmes, mais aussi celles qui leur sont nécessairement connexes, et dont la négation compromettrait l’intégrité du dépôt révélé. C’est précisément ce que la théologie appellera par la suite des faits dogmatiques.
PS2 : Les modifications du Martyrologe ne sont pas des décanonisations, ce qui serait théologiquement impossible. Il s’agit simplement de retraits ou de "toilettages" motivés par des raisons historiques, critiques ou pastorales (incertitude sur les sources, culte local tombé en désuétude, polémiques avec le judaïsme, etc.). Ces suppressions ne remettent jamais en cause une canonisation solennelle, qui, elle, engage l’autorité infaillible de l’Église. Beaucoup ici confondent le fait qu’un saint soit honoré liturgiquement avec une canonisation au sens technique.
Un exemple éclairant est celui de sainte Philomène : très vénérée au XIXᵉ siècle, notamment grâce au curé d’Ars, son culte se diffusa largement. Le pape Grégoire XVI autorisa le culte in honorem S. Philumenæ virginis et martyris, après avoir fait conduire des enquêtes prudentes sur les faits. Toutefois, elle ne fut jamais canonisée solennellement.
En 1961, son nom fut retiré du Martyrologe romain par la Congrégation des Rites, en raison de doutes historiques sérieux concernant son existence et les circonstances de son martyre. Cette décision liturgique ne tranche pas la question historique, mais la laisse ouverte, dans l’attente d’études plus complètes. Les restes retrouvés à Rome en 1802 peuvent très bien être ceux d’une authentique élue, quels que soient son nom, sa vie ou les modalités de sa mort. Il ne s’agit nullement d’une « décanonisation », mais d’une rectification prudente dans un catalogue disciplinaire non infaillible.
Enfin, pour les lecteurs inquiets, ils devraient garder à l’esprit la suggestive comparaison de l’abbé A. Michel, publiée dans la Revue de toutes les sciences ecclésiastiques :
« C’est un peu comme l’hommage rendu au Soldat inconnu de l’Arc de triomphe. Ce soldat a peut-être été un poltron. Qu’importe ! Il représente à lui seul l’héroïsme de tous, et c’est cet héroïsme, derrière lequel se profile l’amour de la patrie, que l’on honore en lui et par lui. Que quelque saint plus ou moins légendaire soit le “saint inconnu”, qu’importe ! En l’honorant, nous honorons par lui Dieu, et par lui, nous demandons à Dieu de nous exaucer. »
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