La peine de mort est-elle devenue un mal en soi ? Réflexions sur une objection récurrente par Réginald 2025-07-20 00:02:41 |
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Votre raisonnement repose sur une confusion. Vous semblez croire que le changement d’évaluation morale des circonstances impliquerait un changement dans l’évaluation de l’objet moral lui-même. Or, ce sont au contraire les principes constants de la morale qui, appliqués avec une conscience accrue aux réalités concrètes, conduisent à rejeter ce qui avait pu, dans d’autres circonstances, être admis.
L’Église n’enseigne pas que la dignité humaine aurait changé, mais qu’elle en a progressivement affiné la perception, de même qu’elle a reconnu, au fil du temps, l’incompatibilité de l’esclavage avec cette dignité. Ce tournant doctrinal, opéré sous Léon XIII, semble pourtant décisif et ne saurait être écarté.
Le jugement ne porte donc pas sur la nature intrinsèque de la peine de mort, mais sur sa légitimité concrète dans un contexte donné. Il ne s’agit pas d’affirmer qu’elle serait devenue intrinsèquement mauvaise — comme le sont, par exemple, l’avortement ou l’euthanasie —, mais de reconnaître qu’elle n’est plus aujourd’hui moralement admissible, et cela pour trois raisons cumulatives :
1. D’abord, en raison d’une perception plus approfondie de la dignité humaine, ainsi que d’une répugnance croissante à l’égard de la violence exercée par l’autorité publique, dans des sociétés devenues plus attentives aux droits des personnes. C’est pour cette même raison que la torture n’est plus tolérée lors des interrogatoires judiciaires, alors qu’elle fut autrefois admise.
2. Ensuite, parce qu’il n’apparaît plus comme nécessaire, dans nos systèmes pénaux modernes, de mettre physiquement un coupable hors d’état de nuire pour assurer la justice et protéger la société. C’est précisément sur ce critère de nécessité que saint Thomas d’Aquin justifiait la peine capitale : « Si un homme est dangereux pour la société, on le met justement à mort pour la sauvegarde du bien commun » (IIa-IIae, q. 64, a. 2). Or, dès lors que ce bien commun peut être préservé par d’autres moyens, la légitimité de la peine de mort s’efface. Cette considération est sans doute la plus décisive : tant que l’on estimait, avec saint Thomas, que l’exécution du coupable était indispensable à la protection de la société, elle pouvait être moralement défendable. Mais si cette nécessité ne s’impose plus, l’argument classique perd sa force propre. Ce n’est pas le principe qui change, mais les circonstances qui en manifestent désormais les limites.
3. Enfin, parce que nos sociétés sécularisées ont perdu la conscience du lien entre la peine de mort et l’amendement moral en vue du salut éternel. Pour la plupart de nos contemporains, la mort apparaît comme le terme absolu de l’existence, alors qu’une société chrétienne croit qu’elle ouvre sur l’éternité. L’histoire de Jacques Fesch a un sens pour un chrétien ; elle n’en a plus pour beaucoup de nos semblables aujourd’hui.
Il va de soi que ces trois raisons, bien que convergentes, peuvent apparaître avec des degrés d’évidence différents selon les sensibilités. Ainsi, la seconde, fondée sur l’évolution des systèmes pénaux, pourra susciter des discussions, mais elle demeure, à bien des égards, la plus décisive, en ce qu’elle touche à la justification même de la peine capitale. Cette diversité de perception n’en invalide pas pour autant la pertinence, mais rappelle que l’application des principes constants de la morale suppose un discernement éclairé, attentif à la complexité de ce que la tradition appelle les circonstances.
Un raisonnement analogue vaut pour la torture : si elle est aujourd’hui universellement rejetée, ce n’est pas parce que la loi morale aurait changé, mais parce que les conditions concrètes ont évolué, notamment avec l’apparition de méthodes modernes d’enquête, qui rendent un tel recours à la violence à la fois inutile et moralement inacceptable.
On pourrait en dire autant du prêt à intérêt, encore formellement condamné par Benoît XIV dans l’encyclique Vix pervenit, mais dont la rigueur doctrinale a été assouplie, non par changement de principe, mais par une meilleure compréhension des mécanismes d’un système économique profondément transformé.
Pour conclure, je vous invite à réfléchir sereinement aux analogies proposées.
Faut-il en conclure que Léon XIII se serait trompé en condamnant l’esclavage ?
Ou que l’Église aurait dû maintenir la permission morale de la torture, au seul motif qu’elle fut longtemps admise ?
Chacun pourra se représenter le type de société qu’impliquerait une telle logique. Et jugera s’il faut y revenir.
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