peine de mort par Réginald 2025-07-19 08:30:47 |
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Il faut aborder cette question à la lumière de précédents historiques, comme celui de l’esclavage. Celui-ci a longtemps été considéré comme moralement admissible sous certaines formes – notamment dans la bulle Dum Diversas de Nicolas V (1452), qui autorisait la réduction en servitude perpétuelle de certains peuples. Même au XIXe siècle, une instruction du Saint-Office, datée de 1866 sous le pontificat de Pie IX, affirmait encore :
« L'esclavage, en lui-même, n'est dans sa nature essentielle pas du tout contraire au droit naturel et divin, et il peut y avoir plusieurs raisons justes d'esclavage. »
Et pourtant, quelques décennies plus tard, Léon XIII condamnait vigoureusement l’esclavage dans In plurimis (1888), en y voyant une atteinte à la dignité de la personne humaine. Ce développement doctrinal n’a pas consisté à nier les principes moraux précédemment posés, mais à les appliquer de manière plus rigoureuse à la lumière d’une conscience plus aiguë de cette dignité.
De même, la peine de mort n’a jamais été déclarée en soi immorale par le magistère – au contraire, l’Église a constamment enseigné qu’elle pouvait, dans certaines circonstances bien précises, être légitimement infligée par l’autorité publique. Il n’est donc pas possible de soutenir aujourd’hui qu’elle serait intrinsèquement mauvaise, sans rompre avec cet enseignement antérieur. C’est pourquoi la Congrégation pour la Doctrine de la Foi affirme :
« La nouvelle formulation du n. 2267 du Catéchisme de l’Église catholique [...] s’inscrit dans un développement authentique de la doctrine, qui ne contredit pas les enseignements antérieurs du Magistère. » (Lettre du 1er août 2018, §8)
La peine capitale est désormais qualifiée d’« inadmissible », non parce qu’elle aurait changé de nature morale, mais, selon les termes mêmes du document, « parce qu’elle attente à l’inviolabilité et à la dignité de la personne », dans un contexte où « la société moderne a les moyens de se protéger efficacement » sans y recourir (§6 et §7).
Il ne s’agit donc pas d’un renversement doctrinal, mais d’un discernement prudentiel, au sens défini par saint Thomas d’Aquin : « prudentia est recta ratio agibilium » (IIa-IIae, q. 47, a. 2). Il s’agit de l’évaluation, à la lumière des circonstances concrètes, de ce qu’il convient de faire ici et maintenant pour le bien commun.
Une analogie peut éclairer cette démarche : dire la vérité est, en soi, un acte moralement bon. Mais il arrive que la dire, à tel moment, à telle personne, dans tel contexte, soit imprudent, voire nuisible, et donc « inadmissible » en ce lieu et à cette heure. Un médecin ou un proche peut ainsi différer une vérité difficile, non parce qu’elle serait mauvaise en soi, mais parce qu’elle serait mal transmise ou prématurée. De même, la peine de mort n’est pas, sur le plan doctrinal, une action intrinsèquement mauvaise ; mais son usage devient problématique dans les conditions actuelles, au regard de la finalité propre des peines dans la société.
Ce discernement s’inscrit dans un contexte nouveau, que Jean-Paul II décrivait en ces termes dans Evangelium Vitae :
« Un signe d’espérance est constitué par l’aversion toujours plus répandue de l’opinion publique envers la peine de mort, même si on la considère seulement comme un moyen de “légitime défense” de la société, en raison des possibilités dont dispose une société moderne de réprimer efficacement le crime de sorte que, tout en rendant inoffensif celui qui l’a commis, on ne lui ôte pas définitivement la possibilité de se racheter. »
(EV, §27, cité dans la Lettre du 1er août 2018, §3)
Ce passage montre clairement que l’évolution de la position de l’Église relève d’un jugement prudentiel, et non d’une modification doctrinale. Jean-Paul II lui-même reconnaissait encore la légitimité de la peine capitale dans certains cas : il ne changeait donc pas la doctrine, mais réévaluait son application à la lumière des circonstances nouvelles.
Ce développement doctrinal est reconnu comme cohérent avec la tradition, et non comme une rupture. La Congrégation le résume ainsi :
« Les enseignements antérieurs [...] peuvent s’expliquer à la lumière de la grave responsabilité des pouvoirs publics quant à la sauvegarde du bien commun, dans un contexte social où les sanctions pénales étaient comprises de manière différente. »
(Lettre du 1er août 2018, §8)
On peut naturellement discuter ce discernement prudentiel, ou même ne pas le partager (c’est d’ailleurs mon cas ; et à titre personnel, je n’aurais pas écrit « inadmissible », mais plutôt : « aujourd’hui inappropriée en raison des conditions concrètes », ce qui exprimerait le même jugement sans laisser croire à une condamnation doctrinale de principe). Mais ce que l’on ne peut pas faire honnêtement, c’est prétendre qu’il s’agirait d’une altération du contenu doctrinal de la foi.
Cela étant dit, on comprend que ce choix de vocabulaire s’inscrit dans une logique pastorale plus large : il vise à rendre plus lisible et plus cohérente l’opposition de l’Église à toutes les atteintes à la vie humaine, en particulier à l’avortement et à l’euthanasie, en insistant sur l’inviolabilité de toute vie, même fautive.
L’Église ne dit pas :
« Ce qui était bien hier est mal aujourd’hui. »
Elle dit :
« Ce qui était légitime hier dans un certain contexte ne l’est plus dans les conditions concrètes d’aujourd’hui. »
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