Avant de répondre point par point aux objections soulevées, je signale simplement que ce « tir groupé » est survenu précisément au moment où ma limite quotidienne de messages était atteinte. Ce n’est donc pas l’argument qui m’a fait défaut, mais le nombre de messages disponibles. Je reprends ici l’ensemble des objections avec la rigueur nécessaire.
A. « Les canonisations ne peuvent être infaillibles que depuis Benoît XIV »
Si les canonisations n’étaient infaillibles que depuis les réformes procédurales de Benoît XIV (XVIIIe siècle), il faudrait alors expliquer d’où saint Thomas d’Aquin tirait sa doctrine, bien antérieure. Dans le Quodlibet IX, q. 8, il affirme qu’il faut croire que l’Église ne se trompe pas lorsqu’elle canonise un saint. Or cette confiance ne repose pas sur une procédure juridique donnée, mais sur l’assistance divine promise à l’Église dans ses jugements solennels.
Saint Thomas prend d’ailleurs explicitement en compte l’objection selon laquelle la procédure canonique repose sur des témoignages humains faillibles (et donc une enquête bâclée) :
Objection 2 : Tout jugement qui s’appuie sur un moyen faillible peut être erroné. Or, dans la canonisation des saints, l’Église s’appuie sur le témoignage humain, puisqu’elle enquête sur la vie et les miracles. Donc elle peut se tromper.
Réponse : La providence divine préserve l’Église de se tromper en ces matières, malgré le caractère faillible du témoignage humain.
Autrement dit,
ce n’est pas la rigueur procédurale qui garantit la vérité du jugement, mais la grâce d’état et l’assistance du Saint-Esprit dans un acte solennel du Magistère suprême. Il faut d’ailleurs souligner que même si Jean-Paul II avait conservé strictement toutes les étapes anciennes, y compris le rôle actif du promoteur de la foi, et n’avait introduit aucune simplification dans la procédure, cela n’aurait sans doute rien changé à la posture de certains opposants du forum. Car l
eur remise en cause ne repose pas tant sur les détails de la procédure que sur une suspicion a priori envers l’autorité romaine, perçue comme acquise au modernisme depuis le concile. On voit ici les limites d’un débat fondé non sur des critères objectifs, mais sur un soupçon généralisé qui rend toute confiance impossible, même lorsque les garanties sont encore en place : pour eux quoi que Rome fasse, c’est toujours suspect.
B. « L’infaillibilité n’a été exercée qu’une seule fois » (Mgr Perrier)Il est paradoxal d’invoquer l’autorité d’un évêque tout en contestant habituellement par ailleurs la légitimité de son magistère. Surtout, cette affirmation épiscopale est imprécise. Si l’Assomption de Marie est le seul cas récent d’une définition ex cathedra d’une vérité révélée, cela ne signifie pas que l’infaillibilité soit inopérante en dehors de ce cas unique. Le Magistère infaillible peut aussi s’exercer sur les faits dogmatiques, les définitions solennelles de canonisation, ou les vérités connexes à la foi révélée.
La liturgie de canonisation elle-même témoigne de cette conscience d’un acte définitif et protégé de l’erreur. Ains lors d’une canonisation le pape invoque l’Esprit Saint :
« Spiritum vivificantem, igitur, invocemus, ut mentem nostram illuminet atque Christus Dominus ne permittat errare Ecclesiam suam in tanto negotio. »
« Invoquons donc l’Esprit vivifiant, afin qu’il éclaire notre esprit, et que le Christ Seigneur n’autorise pas son Église à se tromper dans une affaire d’une telle importance. »
Et le cardinal préfet déclare ensuite :
« Sancta Ecclesia, Domini promisso nixa Spiritum Veritatis in se mittendi, qui omni tempore supremum Magisterium erroris expertem reddit, instantissime supplicat… »
« La Sainte Église, s’appuyant sur la promesse du Seigneur d’envoyer en elle l’Esprit de Vérité, qui rend son suprême Magistère exempt d’erreur en tout temps, vous supplie… »
Autrement dit, l’Église professe explicitement sa conviction que le jugement de canonisation est un acte solennel exempt d’erreur.
C. « Croire à la sainteté de Paul VI est fidéiste » (Roberto de Mattei)Roberto de Mattei confond ici
fidéisme et foi ecclésiastique. Le fidéisme est une erreur condamnée par l’Église, qui consiste à refuser la médiation de la raison et à fonder l’adhésion à des vérités naturelles ou morales uniquement sur la foi. Mais croire que telle personne est sainte n’est pas une vérité accessible à la raison naturelle : c’est un acte de foi fondé sur l’autorité divinement assistée de l’Église, selon la promesse du Christ : « Qui vous écoute, m’écoute » (Lc 10, 16).
Pour être précis il s’agit d’une vérité connexe à la foi, qui relève de ce qu’on appelle la fides ecclesiastica (foi ecclésiastique). Cette foi porte sur des vérités que l’Église enseigne infailliblement en vertu de sa mission divine, même si elles ne sont pas contenues formellement dans le dépôt révélé. Elle est fondée sur la promesse divine d’assistance, et non sur une simple opinion humaine ou sur un sentiment de piété.
Enfin, chacun aura noté la phrase suivante, extraite du texte de de Mattei :
« Il semble que l’objectif soit de rendre rétroactivement infaillibles chacune de leurs paroles et chaque acte de leur gouvernement. »
Cette affirmation ne relève pas de l’argumentation théologique, mais de la caricature polémique. Elle suppose une stratégie absurde (conférer rétroactivement l’infaillibilité à tous les actes d’un pontificat), que personne ne soutient sérieusement. Ce genre d’excès discrédite plus l’auteur qu’il ne sert la vérité, et détourne d’un débat théologique rigoureux.