Pour bien comprendre la profondeur des questions, il faut - en historien comme en théologien - revenir aux sources : ici encore et toujours la "crise" moderniste qui se poursuit.
Maurice Blondel a lancé la "méthode d'immanence" cherchant à se démarquer du néo-thomisme romain et en réfutant de même l'approche moderniste de Loisy. Je renvoie à Émile Poulat, Histoire dogme et critique dans la crise moderniste comme à Pierre Colin, L'audace et le soupçon. Étienne Fouilloux, très proche au départ de l'école de Fourvière, a également écrit sur le sujet notamment sur la grosse querelle de "la nouvelle théologie" lancée par le P. Garrigou-Lagrange qui est à l'origine d'Humani Generis (1950).
De Lubac via notamment le P. Auguste Valensin sj, disciple direct de Blondel, a largement puisé à cette source. La problématique est la même que celle de Loisy au départ : une apologétique de la foi chrétienne dans une société sécularisée, marquée par le scientisme. Mais Blondel n'emprunte pas la voie de l'hyper-criticisme moderniste de Loisy et il est frappant que le courant "lubacien" n'est pas féru d'histoire en général.
Comme quelqu'un le dit dans ce très long fil, le blondélisme est susceptible de deux lectures, l'une compatible avec la foi catholique mais une autre ouvre largement sur toutes les dérives actuelles dont la Société des néo-jésuites a été un important laboratoire, c'est un peu la société Pfizer de la théologie contemporaine.
Quand la méthode d'immanence prudente de Blondel se mue en immanentisme dans nombre de ses héritiers plus ou moins avoués, elle ouvre la porte à un naturalisme sans limite.
Ainsi c'est cet immanentisme qui se retrouve dans le dérapage total de l'Action Catholique spécialisée des années 1960-1980, c'est lui qui sous-tend la confusion interreligieuse du "christianisme anonyme" de Karl Rahner sj. qui mène au culte de la Pachamama à Rome.
A la différence des thomismes et du néo-thomisme, le courant issu de Blondel, dont de Lubac est la grande figure, n'a pas la solidité du roc. C'est un château de sable séduisant mais à la merci du vent et de la marée montante. Il se voulait un rempart habile au modernisme, il l'a été un temps, mais à la longue, il se révèle aussi poreux que lui à la modernité qui détruit de l'intérieur les systèmes croyants.
Le Père de Lubac, cela a été relevé aussi par JVJ et D. Sureau sauf erreur, a été très tôt soucieux de reconstruire une "orthodoxie" post-conciliaire et a soutenu le projet de Communio contre Concilium. Dès 1964, il est très inquiet des craquements qui se voient lors même que le Concile n'est pas terminé. On sait l'estime que Jean Paul II avait à son égard, on peut songer au cardinal Lustiger etc. Je ne l'imagine pas danser autour de la Pachamama dans les jardins du Vatican ; je le situe plus dans une ligne wojtylienne-ratzinguérienne.
Mon collègue retraité Jean-Pierre Wagner souligne volontiers combien le P. de Lubac se revendiquait "thomiste" en dépit d'une pensée qui contourne le néo-thomisme officiel de son temps. Lubacien, sa thèse porte sur le "concept de théologie fondamentale dans l'oeuvre d'Henri de Lubac".
En réponse à votre question : les Blondéliens sont certainement une cause majeure des désastres actuels, autant que les modernistes affichés ou souterrains. Mais le plus souvent à l'instar de de Lubac, ils ont été à la fois pyromanes - faire brûler le néo-thomisme - et pompiers tentés d'éteindre l'incendie général qui a débordé le secteur qu'ils voulaient effacer.
Ils ont largement forgé le néo-jésuitisme qui s'épanouit sous nos yeux.
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