L'ecclésiologie de Lubac est marquée par un retour aux sources des Pères et de l'Eglise. Elle n'a rien de moderniste et Lubac a beaucoup souffert du progressisme post-conciliaire. Comme je l'ai écrit ailleurs, La séparation moderne de l'ordre de la nature avec celui de la grâce s'est exprimée aussi dans la théologie de l'Église. A la nature revient son caractère de société juridique, à la grâce celui de communauté surnaturelle. L'extrincésisme a inspiré à partir du seizième siècle une telle ecclésiologie, élaborée en réaction à la conception protestante de l'Église comme assemblée invisible des croyants.
Le concile Vatican II a tenté de dépasser ce dualisme et retrouver l'unité perdue. C'est dans cette perspective que plusieurs théologiens ont exploré les voies d'une « ecclésiologie de communion », dont les aspects proprement politiques n'ont pas été encore pleinement mis en valeur.1 On sait à quel point les débats furent vifs avant, pendant et après Vatican II sur ce qu’est l'Église : une société ou une communion ? Une institution visible ou une réalité purement spirituelle ? Le Peuple de Dieu ou le Corps du Christ ? Or l'Église est un mystère, et toute la difficulté consiste à penser les différents aspects d’une même réalité complexe. De la réponse fondamentale que l’on donne dépend le traitement d’autres problèmes plus spécifiques non seulement dogmatiques (l’œcuménisme, les ministères, la collégialité etc.) mais aussi moraux - donc politiques -, dans la mesure où l’exercice des vertus n’est pleinement possible que dans l'Église.
Dans sa grande thèse initiale, Le Sacrement de la communion, prolongée plus récemment par son Introduction au mystère de l'Église qui récapitule le dernier état de sa pensée3, le P. de La Soujeole, montre comment l’ecclésiologie catholique s’est développée à partir du XVIe siècle comme réponse à la Réforme de Luther et Calvin, dans un contexte d’opposition frontale. Or les théologiens catholiques (dont le grand saint Robert Bellarmin4) ont souvent adopté sans bien s’en rendre compte des façons de voir de leurs adversaires. D'abord en distinguant dans l'Église un corps et une âme, s'éloignant de fait avec la vision de saint Paul de l'Église comme Corps du Christ. Ensuite, en limitant la visibilité de l'Église à cette nouvelle compréhension de la corporéité, d'ordre finalement sociologique: d'où cette insistance exagérée sur la dimension de l'Église comme société hiérarchique contre la conception protestante de l'Église formée uniquement des saints:
« La relation entre « Église visible » et « Église invisible » comporte chez les contradicteurs la même caractéristique: elles sont séparables et de natures différentes. Le visible-sensible est d'ordre naturel, et l'invisible-intérieur est surnaturel. Ce qu'il y a de visible est lié au sensible, et seulement à lui. Autrement dit le spirituel-surnaturel n'est pas visible. Cela contredit toute la théologie catholique de la grâce selon laquelle celle-ci inhère dans la nature pour la guérir et l'élever. Autrement dit c'est l'unité nature-grâce qui est ici en jeu, et la séparabilité nature-grâce est liée de fait à la conception de la justification extrinsèque chère aux Réformés. Bellarmin tient l'affirmation catholique de l'unité de l'intérieur et de l'extérieur, mais sa démonstration ne la manifeste pas, bien au contraire. »
Bref, Bellarmin a en quelque sorte brisé l'unité de l'être ecclésial. Au début du vingtième siècle, la théologie distinguait réellement deux communautés formellement distinctes sont l'union constitue normalement l'Église, mais qui sont séparables. Le P. de La Soujeole ajoute:
« Ces deux communautés peuvent bien être unies, mais leur unité n'est pas substantielle. Autant dire que cette théologie reconnaît bien deux Églises, l'Église visible et l'Église invisible. On a, de fait, rejoint les Réformés dans leur option ecclésiologique majeure. »
Les théologiens ont ainsi développé ce que notre dominicain appelle une « pensée en binôme » (visible-naturel/invisible-surnaturel, structure-vie, etc.) qui fragmente l'Église. L'invisible surnaturel – avec en son centre le mystère du Christ - n'est plus perçu comme se logeant dans le visible et se communiquant par lui.
Ce n’est qu’au vingtième siècle, non sans tâtonnements ni errements, que la théologie de l'Église a connu un véritable renouveau, dont les deux expressions magistérielles majeures furent l’encyclique Mystici Corporis (1943) de Pie XII et plus encore la constitution Lumen Gentium de Vatican II.
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