Il ne vous a sans doute pas échappé qu'au cœur de l'argumentation il y a une opposition entre l'universel et le particulier : l'affirmation qu'il arrive que ce qui doit être fait dans tel cas particulier contredit la norme universelle.
Et le choix en faveur d'une union homosexuelle dans tel cas particulier, incapacité supposée de vivre dans la chasteté, engagement pris dans la durée envers un partenaire, meilleure sécurité assurée à un enfant par le mariage homosexuel (ce sont des situations que l'auteur prend comme exemples), est en conscience, selon lui (eux) le bon choix ; il s'agit donc du bien qui est à choisir dans cette situation particulière, car si ce n'était pas là le bien à faire ça ne serait pas ce qui est à choisir selon la conscience ; bref c'est ce qu'il faut appeler le bien particulier puisque associé à une personne et une situation particulières. Cette opposition entre l'universel et le particulier est donc bien une opposition entre le bien universel et le bien particulier, ou encore entre la norme universelle et le choix particulier opposé qui s'impose.
Le fait d'être qualifié de possible, n'empêche pas ce bien d'être particulier. Pas plus que le fait qu'il soit le bien à un moment et dans des circonstances déterminées, sur un chemin censé conduire à une meilleure conformité avec la norme universelle.
Lorsque l'auteur prétend que Jean Paul II a seulement traité de la norme universelle, c'est faux : il a justifié qu'en ce qui concerne les actes intrinsèquement mauvais la norme universelle s'impose dans tous les cas (particuliers) ; cette façon de dire que François traite de ce dont Jean-Paul II n'a pas voulu traiter et malhonnête.
L'union homosexuelle n'y est pas textuellement affirmée comme un bien particulier, mais elle l'est clairement implicitement. Lorsqu'il est parlé "des personnes qui, après avoir erré dans le libertinage sexuel, se sont décidées à rechercher un bien à leur portée, et mesurent que la vie commune avec une personne aimée leur permet d’accéder à une stabilité affective et relationnelle", ce choix d'une relation homosexuelle est bien présenté comme le bien à faire en conscience dans la situation particulière, et sur un chemin de sainteté.
De même quand il est dit "lorsque deux personnes homosexuelles sollicitent la prière de l’Église pour accompagner leur amour, leur union, ou l’enfant qu’elles ont accueilli, une prière à caractère privé est préférable", cela implique bien que la prière de l'église doit répondre positivement et accompagner l'amour, l'union, ou l'enfant qu'elles ont accueilli. Etc.
Je suis tout à fait d'accord avec vous qu'il s'agit pour l'auteur de reprendre les principes d'Amoris Laetitia et de Gaudete et exsultate dans la situation « irrégulière » (par rapport à la norme universelle) que représentent les relations homosexuelles, et qu'il ne me semble pas qu'il trahisse ces principes, et là est bien la gravité de la chose.
Le reproche qui est fait à ces principes d'Amoris Laetitia et aux applications qu'en fait le P. Bordeyne, n'est pas de faire de l'homosexualité un bien en soi et définitif, mais c'est un bien à un moment déterminé (qui peut durer toujours). Le problème n'est pas une réflexion sur le bien universel, baptisé idéal, à l'encontre des mises au point que Jean-Paul II fait sur cette qualification, mais de savoir si c'est un choix légitime dans telles circonstances concrètes, ou s'il y a des actes et donc des choix intrinsèquement mauvais, qu'on ne peut justifier par les circonstances.
Et si c'est le cas, si on ne peut les justifier par les circonstances, c'est parce que la doctrine catholique affirme qu'il s'agit d'actes intrinsèquement mauvais et qu'il y a une grâce suffisante donnée par Dieu qui ne commande pas des choses impossibles.
Il est significatif que l'auteur de cet article s'appuyant sur François parle de surestimation de la capacité humaine à faire le bien, et de pélagianisme. Je les invite et vous invite à aller lire Veritatis Splendor sur cette question : Jean-Paul II y explique qu'on ne parle pas de l'homme avec ses seules forces humaines, mais de l'homme sauvé, transformé par la grâce. Mais pour nos auteurs il est exclu que la grâce qui a transformé Saint-Pierre de poltron qui ne comprenait rien au Kerygme, en un prédicateur éclairé et audacieux, que cette grâce puisse secourir le pécheur pour lui permettre de ne pas commettre de péché objectivement mortel, non sans âpre combat ; car pour la facilité des actes vertueux il y a des vertus à acquérir. Et c'est cette même doctrine sur la croissance de la grâce (et de la charité) et la nécessité de rejeter le péché qui coupe de Dieu qu'enseigne Saint Thomas. Mais encore faut-il les étudier et se référer à tous 2 honnêtement.
Dans son relativisme l'auteur va jusqu'à dire qu'aujourd'hui il faut d'abord justifier la défense du mariage hétérosexuel, par le fait que la différence sexuelle est fragile. Dans un tel argument s'il n'y avait pas la fragilité de la différence sexuelle, il n'importerait pas pour assurer une certaine primauté du mariage hétérosexuel qu'il y ait aussi un mariage homosexuel !!
Encore une fois pour lui, le mal à éviter n'est pas le mal d'un acte intrinsèquement mauvais, mais seulement le risque de confusion avec le mariage entre un homme et une femme (mal qu'il faut éviter aussi, mais qui n'est pas du tout le seul grave).