Bonsoir Vianney,
Voici la dernière partie d'un assez long texte du jésuite américain John Courtney MURRAY, concepteur de la déclaration conciliaire Dignitatis Humanae :
« Il reste enfin la question de l’argument pour la liberté religieuse dérivé de la Révélation chrétienne.
(…)
La Déclaration (...) embrasse trois arguments majeurs :
1) Le droit à la liberté religieuse ne peut lui-même être démontré à partir de l’Ecriture sainte ou de la Révélation chrétienne.
2) Le fondement de ce droit, qui est la dignité de la personne, est plus abondamment et plus clairement démontré par l’Ecriture sainte qu’il ne peut l’être par la seule raison humaine.
3) C’est par une longue évolution historique que l’on est parvenu à une notion de la liberté religieuse qui soit celle d’un droit de l’homme. La racine et le dynamisme de cette évolution éthique et politique a été la doctrine, chrétienne au sens propre, de la dignité de l’homme, illustrée par l’exemple du Seigneur Jésus.
Des questions sérieuses et difficiles demeurent toutefois.
La première est celle de la relation entre la liberté chrétienne, telle qu’elle est prêchée par les Ecritures, surtout par Saint Paul, et notre liberté religieuse, celle que les hommes d’aujourd’hui revendiquent pour eux. Sur la question, il y a plusieurs avis.
Selon les uns, en effet, ces deux libertés diffèrent l’une de l’autre à tel point qu’il n’y a aucun accord possible.
Selon d’autres, dont je suis, c’est dans la notion même de liberté chrétienne et évangélique, ou, mieux, dans la libre existence chrétienne elle-même, qu’est donnée l’exigence de liberté religieuse dans la société.
Ce n’est pas une petite affaire de le montrer.
A cela s’ajoute une question historique extrêmement difficile, et encore non explorée : pourquoi un chemin aussi long, avec un tracé aussi contourné, a-t-il été nécessaire, pour que les hommes parviennent enfin à la conscience de leur dignité, et à la mise en œuvre de ses exigences, dans la société civile ?
Ces questions sont évidemment d’ordre œcuménique. Il est également évident qu’il y a une urgente nécessité à instituer un dialogue entre nos frères séparés et nous, avec l’assistance de nos frères non croyants, qui ont beaucoup contribué, et contribuent jusqu’à présent, à ce qu’une attitude d’entière liberté soit instaurée et maintenue dans la société, même en ce qui concerne la liberté religieuse. »
Je rappelle à toutes fins utiles la provenance de cette citation : on la trouve à la page 367 de cet ouvrage : " La liberté religieuse à Vatican II - la contribution de John Courtney MURRAY ", de Dominique GONNET, s. j., ouvrage paru aux éditions du Cerf, au numéro 183, dans la collection Cogitatio Fidei.
En l'occurrence, le texte, du jésuite américain, qui se termine par cette citation, se trouve entre la page 357 et la page 367 de cet ouvrage.
Je trouve que les deux "réponses" formulées par le Père MURRAY, en présence des questions qu'il exprime, renvoient à la relative ambiguité ou à la relative fragilité de la deuxième partie de Dignitatis Humanae.
Dire, grosso modo, que la meilleure chose à faire consiste à approfondir ces questions, en les partageant avec les chrétiens non catholiques et avec les croyants non chrétiens, dans le cadre du dialogue oecuménique et du dialogue interreligieux, me semble être une manière de botter en touche, de ne pas répondre à deux questions dérangeantes.
Le Père MURRAY reconnaît au moins ceci :
- dans le premier cas, nous sommes en présence d'une question disputée, au contact de laquelle sa réponse n'est pas nécessairement plus évidente ou plus opérante que celle de ceux qui ont un point de vue opposé au sien ;
- dans le deuxième cas, nous sommes en présence d'une question sans réponse, à mon avis, parce que la question est mal posée : les hommes
a) ne sont pas particulièrement parvenus "à la conscience de leur dignité, et à la mise en œuvre de ses exigences, dans la société civile",
mais
b) sont bien particulièrement parvenus, au cours d'une période comprise entre le début de la Guerre de Trente ans et la fin du règne de Louis XIV, à la conscience du fait que la contrainte étatique, en matière religieuse, ne correspond aux intérêts bien compris de personne : ni aux intérêts des gouvernants, ni aux intérêts des gouvernés, ni à ceux, enfin, de la société civile elle-même.
Encore s'agit-il là d'une prise de conscience
a) qui a été initialement, sinon exclusivement, européenne occidentale,
b) qui n'est pas (encore) une réalité absolument universelle,
c) qui a débouché indirectement sur l'apparition de religions séculières, avec une absence de séparation entre un Parti et un Etat, religions séculières qui se sont révélées beaucoup plus hostiles à la liberté religieuse, aux conséquences de sa mise en oeuvre ou de sa prise en compte, que les différentes confessions qui relèvent de la religion chrétienne,
d) qui a débouché sur un processus de sécularisation de la civilisation, qui est un processus de lente mise à mort, dans l'espace public et dans l'opinion publique, de la religion chrétienne, en tant que seule vraie religion.
Bonne fin de soirée et à bientôt.
Scrutator.