En vous lisant ainsi que Vianney et M. Parfu, on peut dégager quelques points où se cristallisent les désaccords et différences de perception car parfois, on le voit ci-dessus, les uns et les autres emploient un langage (bien qu'en français) différent.
1. il se dégage un point d'accord sur le plan historique et "politique" pratique en quelque sorte : l'État catholique exclusif est pratiquement impossible à réaliser depuis 1789, à vue humaine il ne peut être qu'un projet renvoyé à un futur très lointain.
2. 2è point d'accord : même dans le passé, au long de son histoire, l'Église n'a cessé de s'installer dans des cadres étatiques différents parfois avec un État catholique exclusif répressif et parfois (plus souvent) non, jusqu'à signer des accords/concordats avec des États laïques (ex. tous les concordats signés par Léon XIII, Pie XI et Pie XII).
Ajoutons que l'Église continue après 1965 à signer des conventions de type concordataires en nombre assez important (cf. Mgr Minnerath, L'Église catholique face aux États. Deux siècles de pratique concordataire, Cerf, 2012).
3. le conflit porte donc exclusivement :
a) sur un concept idéal avec des désaccords lexicaux sur ce qu'est "l'état", la "liberté de conscience", la "liberté publique de conscience", la liberté de l'acte de foi au for interne.
b) (l'État catholique exclusif) son statut théologique - est-il partie indirecte du Credo ou d'une profession de foi catholique ?
c) les conséquences de la position doctrinalo-pastorale prise par Vatican II (D.H. en 1965) comme cause 1ère de la crise de l'Église ou à l'inverse sans incidence aucune sur l'identité et très secondaire sur la mission de l'Église.
4. il me semble qu'il y a 3 positions en présence et non pas deux si on récuse l'essai (désespéré) de dom Basile Valuet d'établir une stricte continuité entre le prononcé du Syllabus et de Mirari vos sur le sujet et l'énoncé de D.H. Quasiment personne dans l'Église ne soutient la lecture de dom Basile : il y a un déplacement au minimum voire pour certains une contradiction.
Quelles sont les trois positions donc ?
a) le catholicisme libéral : il prône la stricte séparation Église/État et disqualifie par principe tout lien entre les deux comme susceptible d'être une réduction de la liberté ecclésiale.
Pour leurs héritiers, catholiques néo-libéraux, on passe à ce que dénonçait M. de Saint Pierre en 1986 (avec d'autres cf. le fil à ce sujet) : un indifférentisme religieux et une indétermination de la foi par rejet du dogme (cf. le modernisme loisyste, le vrai, et les loisystes contemporains assez nombreux dans la corporation théologienne et dans les media "catholiques"). Bruno Chenu aa s'était réjoui avant sa mort du syncrétisme religieux à l'oeuvre dans le C.O.E.
Là on se rallie à la liberté de conscience au sens des laïques et du Grand Orient.
Il est aisé de montrer que le Magistère conciliaire et post-conciliaire (D.H., Ecclesia in Europa, Dominus Iesus, Redemptoris missio, Fides et ratio etc.) rejette les thèses catholiques libérales et néo-libérales/néo-modernistes aujourd'hui comme hier.
b) la position de Pie IX en 1864 qui fut répétée avec quelques nuances mais sur un plan purement théorique par les papes suivants jusqu'à Paul VI, chacun ayant comme on l'a dit plus haut une pratique diamétralement opposée au principe affiché.
C'est ce qu'on appelle le catholicisme intransigeant qui valorise le rôle de l'État dans l'évangélisation et paraît ne plus penser cette évangélisation sans la (simple) revendication de cet État confessionnel catholique exclusif avec pouvoir de réprimer.
On note cependant que malgré le maintien de cette revendication jusqu'à D.H. (1965) - je ne le conteste pas du tout -, les papes surtout à partir de Léon XIII (mais déjà avant ex. Grégorie XVI rechigne mais finit par reconnaître le nouvel État belge qui pourtant a un régime officiel et nominal de séparation) s'installent de plus en plus dans ce que Mgr Dupanloup avait appelé "l'hypothèse". Pie XII souligne cet état de "l'hypothèse" et les cardinaux-archevêques français dès 1945 énoncent franchement ce qui va être D.H. sans être condamnés par Rome.
c) le néo-intransigeantisme résulte de D.H. et du Magistère post-conciliaire porté par les papes de Paul VI à Benoît XVI.
L'élément de continuité avec Pie IX tient au refus d'inféoder l'Église aux États et, contrairement à ce qui est couramment enseigné dans les séminaires et universités par nos canonistes, l'Église ne renonce pas à être une "société parfaite" c'est-à-dire à être productrice de son droit indépendamment des États ou structures inter-étatiques (type O.N.U., U.E). On le voit dans les zones sensibles de conflit avec les États libéraux (ex. statut de la confession, conflits autour de la parité, de l'approche de la sexualité etc.).
Autre élément de continuité, l'Église entend influencer les États sur le plan de leur législation et même au plan d'un statut juridique qu'elle réclame pour aider à sa mission d'évangélisation (cf. Jean-Paul II, Ecclesia in Europa, exigence de reconnaître les "racines chrétiennes de l'Europe", maintien des revendications de Pie XI quant à l'enseignement y compris à l'école publique, même revendication pour l'assistance spirituelle dans divers corps (ex armée) ...).
La déplacement du néo-intransigeantisme tient à la relativisation du rapport à l'État, État catholique exclusif qui n'est plus vu comme une condition sine qua non à l'évangélisation : l'histoire ayant prouvé amplement que l'Église peut croître sans l'État et même contre un État hostile (ex. le catholicisme polonais pendant l'ère communiste).
Au fond, D.H. et le néo-intransigeantisme assume la pratique constante des papes intransigeants depuis 1789 et fait coïncider le discours et la pratique.
On distingue entre la liberté individuelle de conscience et la liberté publique de conscience : le néo-intransigeantisme n'admet pas du tout l'erreur devant Dieu et dans l'Église (la CDF condamne toujours des erreurs doctrinales) mais n'exige plus de l'État tel qu'il est de réprimer les acatholiques ; toutefois il n'exclut pas l'établissement de l'État catholique exclusif si l'évangélisation réussit pleinement en rechristianisant intégralement une population en un lieu donné. L'État catholique exclusif devient une conclusion et non plus une introduction.
C'est cette dernière position à laquelle pour ma part je fais référence, avec le Magistère, on l'aura compris.
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