La distinction entre pouvoir d'ordre et pouvoir de juridiction, précisément, relève des distinctions dont l'oubli depuis le dernier Concile est l'une des causes directes du chaos tout à la fois disciplinaire et doctrinal qui règne dans l'Église. Comme souvent, les considérations du Concile sur la potestas ecclesiastica ont embrouillé une question jusque-là assez claire, ce qui a conduit à de telles impasses que le Code de droit canonique de 1983 n'a pas trouvé d'autre solution que de ressusciter, au grand dam de certains novateurs, la distinction classique des deux pouvoirs, dont il a bien fallu reconnaître qu'elle est indispensable.
Si cette distinction a été formalisée de manière claire à l'occasion du concile de Trente, elle est bien antérieure quant à son fond. Si l'antiquité chrétienne n'y a pas eu recours, c'est avant tout parce qu'elle ne connaissait pas les ordinations vagues : un clerc n'était ordonné que pour tel titre précis, si bien que la mission était nécessairement jointe à l'ordination. En revanche les translations s'accompagnaient d'une mission donnée par le supérieur hiérarchique sans bien sûr que l'ordination soit renouvelée, ce qui sous-entendait déjà la distinction des deux pouvoirs.
Dans la thèse qu'il a consacré à la question, l'abbé Laurent Villemin fait à mon sens une impasse assez significative sur les débats ecclésiologiques de la Révolution française, auxquels il fait à peine allusion en évoquant les thèses de Bolgeni. Or ces débats français auraient montré que l'affirmation de la distinction entre ordre et juridiction n'est aucunement réductible à celle du courant ultramontain : des jansénistes peu suspects de sympathies ultramontaines comme le P. Lambert O.P., Vauvilliers, Maultrot (malgré quelques hésitations terminologiques) ont alors rappelé l'importance essentielle de la distinction. Il ne s'agit pas d'ultramontanisme, de juridisme ou de triomphalisme, mais de la parole de Notre-Seigneur Jésus-Christ, qui a donné mission à ses apôtres pour lier et délier et les établis pour juger les douze tribus d'Israël.
Si je comprends que l'on en fasse la remarque cum grano salis à Anne Soupa ou à Christine Pedotti, il me semble que leurs revendications n'ont strictement rien à voir avec une supposée ecclésiologie tridentine, mais tout à voir en revanche avec une négation de la distinction entre clercs et laïcs au nom d'une ecclésiologie vaguement multitudiniste.
En tout état de cause, je doute très fortement que le sacramentalisme et le monisme ecclésiologique soient la solution à la crise de l'Église : ils sont au contraire au cœur du problème.
Peregrinus
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