1) Pour résumer votre thèse : l'objet du droit de ne pas être empêché d'agir est le même que celui du droit à agir, à savoir "agir".
En réalité, vous confondez l'objet direct et l'objet indirect du DLR.
Je reformule donc ma réponse : l'objet direct (en soi, voulu en lui-même comme un bien) du droit à la liberté religieuse, c'est l'immunité civile (ne pas être empêché d'agir ou forcé d'agir au plan religieux) (ce qu'on pourrait aussi appeler une liberté civile négative) ; son objet indirect (par accident, simplement accepté comme une conséquence de l'immunité civile), c'est, quand le sujet du DLR se trouve dans l'erreur, la tolérance civile de l'erreur religieuse, et donc l'agir erroné.
Quand la loi civile n'interdit pas, elle n'a pas du tout le même sens, ni la même portée morale que lorsqu'elle autorise, approuve ou permet positivement toutes les croyances indistinctement. Même si dans les deux cas, qu'elle ne fasse pas défense ou qu'elle autorise, sur le plan immédiatement pratique, cela ne change rien par rapport à l'agir religieux.
J'ajoute que, au-delà de cette liberté universelle, civile et négative qu'est le DLR, DH reconnaît, s'agissant de la seule religion catholique, un droit positif au libre exercice de ce culte :
DH 13 : "Parmi les choses qui concernent le bien de l’Église, voire le bien de la cité terrestre elle-même, et qui, partout et toujours, doivent être sauvegardées et défendues contre toute atteinte, la plus importante est certainement que l’Église jouisse de toute la liberté d’action dont elle a besoin pour veiller au salut des hommes [31]. Elle est sacrée, en effet, cette liberté dont le Fils unique de Dieu a doté l’Église, qu’il a acquise de son sang. Elle est si propre à l’Église que ceux qui la combattent agissent contre la volonté de Dieu. La liberté de l’Église est un principe fondamental dans les relations de l’Église avec les pouvoirs publics et tout l’ordre civil.
Dans la société humaine et devant tout pouvoir public, l’Église revendique la liberté en tant qu’autorité spirituelle instituée par le Christ Seigneur et chargée par mandat divin d’aller par le monde entier prêcher l’Évangile à toute créature [32]. L’Église revendique également la liberté en tant qu’elle est aussi une association d’hommes ayant le droit de vivre dans la société civile selon les préceptes de la foi chrétienne [33]."
2) St Thomas, aussi vénérable soit-il, n'est pas le magistère infaillible de l'Eglise.
3) Le droit public agit effectivement au for externe. Mais, même au for externe, tous les vices n'ont pas à être interdits, et l'exercice de toutes les vertus n'a pas à être imposé. Ou alors, vous avez une conception totalitaire du for externe public.
Mieux, le droit public, qui agit directement au for externe, ne peut pas totalement ignorer que certains actes engagent de manière très intime et profonde au for interne.
S'agissant en l'occurrence de la vie religieuse des citoyens, parce que précisément, par leur nature, ils engagent le for interne au point suprême, l'Etat n'a pas compétence pour les empêcher ou les diriger au for externe, même s'ils s'avèrent objectivement mauvais (restant sauf l'ordre public juste, évidemment). Cela regarde l'homme, en conscience, face à Dieu, et donc, en vertu de sa dignité de créature à l'image de Dieu, la liberté de l'homme et par suite sa responsabilité.
4) Effectivement, l'ordre public juste renvoie au bien commun naturel et surnaturel (le CEC enseigne qu'il ne doit pas être conçu de manière positiviste ou naturaliste), et donc aussi bien à la loi naturelle qu'à la loi catholique. Le tout est de déterminer les justes limites du DLR selon la prudence politique, en fonction de chaque situation sociale, afin d'arbitrer au mieux entre le respect des droits fondamentaux de la personne (dont le DLR, exigé d'ailleurs par la "loi catholique", au moins explicitement depuis Vatican II) et les autres exigences du bien commun.
Cordialement,
Gaudium