Humanae Vitae fait partie des textes que beaucoup de prêtre proposent logiquement à la lecture des fiancés lors d’une préparation au mariage. Je l’ai donc lue mais votre message était pour moi l’occasion d’y rejeter un œil. Et le fait est que mon œil s’est fait nettement plus critique au sujet de cette encyclique avec le temps.
Je commencerai par prévenir le liseur que ma critique n’est pas la critique jusquauboutiste de certains traditionnalistes (on a cité dans ce fil les dominicains d’Avrillé par exemple) qui consiste à rejeter le principe même d’une régulation des naissances. J’ai souvent constaté que dans le milieu tradi (et notamment chez certains prêtres), les fameuses « méthodes naturelle de régulation des naissance » ne sont envisagées que comme un pis-aller (typiquement pour une famille en difficultés financières ou autres, ou au-delà du huitième enfant, parce que quand même voilà…).
En bref, il faudrait justifier de motifs graves sans lesquels il serait peccamineux de s’écarter du cas normal du couple qui prend les enfants comme ils viennent pendant la vingtaine d’année de sa vie féconde. Ce n’est d’ailleurs pas forcément exposé explicitement comme tel, mais cette idée est me semble-t-il tenace. Elle est à mon sens entretenue par le miroir déformant de nos sociétés occidentales actuelles ainsi que la sociologie du monde traditionnel : dans une société où il y a peu d’enfants, les familles nombreuses, qui sont l’exception, sont légitimement appréciées. Le modèle de la famille tradi « BCBG », même si on s’en défend, est bien présent et on ne voit pas toujours qu’il n’est vraiment reproductible que dans des milieux plutôt aisés. Du reste, la France a (et c’est une excellente chose) un système social qui fait que ceux qui n’ont pas d’enfants paient pour ceux qui en ont, à travers les allocations familiales, mais aussi les aménagements de la fiscalité, la gratuité de dépenses de santé et de l’éducation, les politiques de logement etc.
En bref, beaucoup ne veulent pas voir que si toutes les familles étaient des familles très nombreuses, toutes vivraient plus difficilement. Il y a cette réticence à accepter l’idée que, dans une société où la presque totalité des enfants accèdent à l’âge adulte et où les femmes ne meurent pas en couches, la régulation des naissances est quelque chose d’absolument normal et nécessaire pour la durabilité même de cette société. Des contre-exemples actuels sont des pays comme le Niger (7 enfants par femme, c’est le Tradiland à l’échelle d’un pays quoi) ou encore l’Egypte où la natalité a augmenté ces dernières années (sous l’influence des Frères musulmans notamment) et où pèse la menace d’une crise alimentaire. Comme exemple passé et plus proche géographiquement… peut-être l’Irlande d’avant la Grande Famine ?
Vous l’aurez donc compris, ma perplexité grandissante ne porte pas sur les très sages affirmations de l’encyclique sur la fécondité responsable, mais plutôt sur l’illicéité des contraceptifs (et je m’attends bien à ce que les réactions à mon post ne soient particulièrement favorable en ces lieux).
Il est intéressant de noter que l’encyclique pose en son §3 la question centrale à l’origine de sa rédaction, en des termes extrêmement bien choisis.
« Etendant à ce domaine l'application du principe dit " de totalité ", ne pourrait-on admettre que l'intention d'une fécondité moins abondante, mais plus rationalisée, transforme l'intervention matériellement stérilisante en un licite et sage contrôle des naissances ? Ne pourrait-on admettre, en d'autres termes, que la finalité de procréation concerne l'ensemble de la vie conjugale, plutôt que chacun de ses actes ?
On demande encore si, étant donné le sens accru de responsabilités de l'homme moderne, le moment n'est pas venu pour lui de confier à sa raison et à sa volonté, plutôt qu'aux rythmes biologiques de son organisme, le soin de régler la natalité. »
Mais il me semble qu’elle n’y répond par la suite que laconiquement. Au §11, très important me semble-t-il, il est dit que l’union sexuelle inféconde est légitime car ordonnée à exprimer et consolider l’union des époux (dire le contraire, en plus de condamner les méthodes fondées sur l’observation du cycle féminin, reviendrait à rendre illicites les rapports sexuels entre des époux qui se savent stériles, ou pendant la grossesse, ce qui est gênant, quoi qu’il me semble qu’on trouve des interdits de ce genre, dans des conciles de l’époque carolingienne je crois). Oui mais cela ne vaut que quand l’infécondité est indépendante de la volonté des conjoints. Pourquoi ? On ne saura pas. C’est aussi à ce paragraphe qu’on trouve la notion capitale d’ouverture de l’acte matrimonial à la vie, sur lequel je reviendrai plus bas.
Au §14, les moyens illicites de régulation des naissance sont énumérés selon un rythme ternaire. L’infanticide que pratiquaient la plupart des sociétés primitives mais encore les romains païens, qui s’étonnaient que les juifs le condamnent, n’est pas évoqué car son abomination n’est, Dieu merci, pas remise en question dans le monde occidentalisé en 1968. On a donc : 1. L’avortement. 2. La stérilisation (qui correspond pour les hommes à la vasectomie – moyen de contraception n°1 au Royaume-Uni mais en recul on a des enfants de plus en plus tard – ou pour les femmes à la ligature des trompes). 3. La contraception « ponctuelle » (préservatif, pilule, pilule du lendemain ou – soyons tradis – retrait).
Il y a pourtant un fossé entre le cas 1 et les cas 2 et 3, dont le texte ne parle pas (sans doute n’est-ce pas le sujet. L’avortement supprime un individu qui, on le sait scientifiquement, est un humain en développement. La contraception évite une conception. Il y a une différence de nature entre ces deux actes (sans nier pour autant qu’il existe des cas limites, comme par exemple un dispositif intra-utérin qui a pour effet d’empêcher la nidation de l’embryon et interrompt donc une gestation dans ses tous premiers instants), si bien que, alors qu’il m’apparait fondamentalement indéfendable de légitimer l’avortement, la condamnation morale de la contraception m’a toujours paru reposer sur un argument d’autorité (argument auquel du reste j’adhérais au nom d’une fidélité intégrale à l’enseignement de l’Eglise, et pour lequel je garde une déférence de principe, entamée par de forts doutes). On se contente d’en appeler au magistère constant de l’Eglise. Question que je me pose : peut-on vraiment exiger du magistère qu’il soit constant dans un domaine où l’état de la science, des techniques et le contexte humain ne le sont pas ?
Vient ensuite, au §17, un exposé des « graves conséquences des méthodes de régulation artificielle de le natalité ». A la lecture de ce paragraphe, on a l’impression que l’autorité justifie par des motivations « d’ordre public » une interdiction qu’elle édicte (ou qu’elle maintient) plutôt qu’elle ne constate la contrariété d’une pratique à une loi immuable qui ne dépend pas d’elle. « Il faut absolument reconnaître DES limites infranchissables ». Deux arguments sont ainsi avancés.
Le premier est redoutable : en effet, l’existence d’un moyen fiable de priver l’acte sexuel presque à coup sûr de sa possible conséquence procréative (ce à quoi il faut ajouter l’effet protecteur du préservatif contre les maladies vénériennes) rend indubitablement plus faciles la fornication et l’adultère. On peut en effet sans doute attribuer pour une large à ces deux nouveautés le bouleversement des mœurs en matière sexuelle qu’a connu une bonne partie du monde le siècle dernier. Et j’admets volontiers qu’Humanae Vitae a pu être un instrument de l’Esprit Saint pour préserver au milieu de ce bouleversement une jeunesse catholique qui, se devant d’être à contre-courant sur cette question, en a été fortifiée et a ainsi pu maintenir et transmettre la foi.
Mais cet argument n’est pas décisif en lui-même. On pourrait même voir le développement de la contraception comme un atout, car il oblige à trouver des raisons plus profondes à la fidélité conjugale que la peur d’une grossesse importune ou d’une quelconque infection. J’oserais une analogie (qui vaut ce qu’elle vaut) avec l’apprentissage massif de la lecture. Au XVIIe siècle, les pays passés à la Réforme protestante, vont favoriser une alphabétisation des masses afin d’assurer à tous la lecture de la Bible. A l’inverse, la hiérarchie catholique, dans l’ensemble, est beaucoup plus réticente à encourager l’apprentissage de la lecture et la diffusion des livres sacrés, car cela favorise de fait un certain libre examen et la propagation d’idées hétérodoxes. Mais aujourd’hui, il est tout-à-fait recommandé aux fidèles de s’instruire par la lecture sur les vérités de la foi.
Le second argument est à mon sens curieux. Légitimer la contraception permettrait aux gouvernements de l’encourager voire de l’imposer. Cela revient à poser le problème à l’envers. Si la contraception ne pose pas de problème, qu’est-ce qui interdirait moralement à un gouvernement de l’encourager ? Quant au fait imposer, cela fait appel à une autre notion : celle de la liberté individuelle.
Ainsi, pour ces raisons, Humanae Vitae ne me paraît plus vraiment être une encyclique entièrement satisfaisante et mon sentiment est que l’Eglise, tôt ou tard, reviendra la « préciser » en lui reconnaissant s’un côté d’avoir mis à l’honneur le principe de l’ouverture à la vie qui est primordial mais en réexaminant la question précise de la licéité des moyens artificiels de régulation des naissances.
L’ouverture à la vie renvoie au fait de reconnaître le sens profond d’union charnelle entre un homme et une femme en comprenant que sa finalité première est la procréation. Cette exigence d’ouverture à la vie est concrètement mise en action lorsque, souhaitée ou non, la conception d’un être humain intervient. A ce moment, la personne est là et son intégrité est inviolable. Ainsi, est condamnée à juste titre la mentalité contraceptive qui en vient à ne plus admettre la possibilité de la conception et conduit à refuser par avance ses droits à la vie commencée. C’est en ce sens qu’on dit avec raison que la contraception mène à l’avortement (ce qui est irréfutable quand on regarde l’histoire des législations dans ces domaines).
Mais l’autre propos d’Humanae Vitae est d’affirmer, à mon sens péremptoirement, que le fait d’observer une abstinence périodique par rapport au cycle féminin dans le but de ne pas concevoir est par nature un comportement ouvert à la vie alors que le fait de, par exemple, prendre un traitement bloquant l’ovulation est par nature un acte fermé à la vie. Je ne suis jamais parvenu à comprendre comment il pouvait y avoir une différence de nature entre ces deux comportements.
Pour prendre un cas d’école, on peut tout-à-fait imaginer (en mettant de côté toute corrélation sociologique) d’un côté un couple qui pratiquerait la méthode Billings et choisirait d’avorter si un enfant arrivait de façon imprévue, et de l’autre côté un couple dans lequel la femme prendrait la pilule mais qui accepterait humblement la réalité de la vie si une grossesse intervenait.
Pardonnez-moi cher XA. Peut-être n’attendiez-vous pas un tel pavé hétérodoxe en réponse à votre question.