C'est néanmoins celle qu'il tient, personnellement, pour la plus probable (quae sententia probabilis est, et defendi potest facile, ut postea suo loco ostendemus) - ce qu'il démontre au chap. IV - , oui ou non ?
Si vous parlez du
de Romano Pontifice, livre IV, chapitre 6, la thèse que Bellarmin y exprime est la suivante :
Il est probable et peut être pieusement cru non seulement que le souverain Pontife ne peut pas errer en tant que Pape mais aussi qu’en tant que personne privée il ne peut pas être hérétique par une croyance pertinace contre la foi.
Lorsqu'il passe au "probatur primo" et "secundo probatur", il il s'agit précisément de preuves
de cette thèse. Autrement dit, il prouve que cette thèse est probable (au sens théologique du terme) et pieuse - pas plus.
Il a déjà concédé au livre II que l'opinion commune des théologiens s' oppose à cette thèse et qu'elle n'est pas certaine.
Comme je l'ai remarqué ailleurs dans ce fil, une opinion théologique en matière libre est dite « probable » s’il existe des motifs en sa faveur suffisants pour qu’un homme prudent y adhère. Cette probabilité théologique n’implique pas que l’opinion soit la meilleure. Une autre peut être également ou plus « probable ». La probabilité d’une opinion peut être évaluée selon la valeur intrinsèque des arguments ou selon le nombre et le poids relatif des théologiens réputés qui la défendent.
Pour ce qui est de l'opinion personnelle de Bellarmin, il faut ne pas perdre de vue que dans ce même livre il remarque au sujet d'un pape réel:
Marcellin n’a rien enseigné contre la foi et ne fut pas hérétique ni infidèle si ce n’est en acte externe par la crainte de la mort. Est-il déchu du pontificat en conséquence de cet acte externe ? Peu importe, vu qu’il a tout de suite abdiqué et fut peu après couronné du martyre. Toutefois je penche à croire qu’il ne fut pas par le fait même déchu du pontificat puisqu’il était suffisamment connu de tous qu’il n’avait sacrifié que par crainte.
On voit donc que devant le fait concret (quoiqu'il en soit de l'historicité du cas) Bellarmin évalue la question
Tel pape est-il déchu du pontificat pour perte publique de la foi?, strictement selon les données historiques et théologiques certaines et nullement en fonction d'une simple opinion pieuse, minoritaire et non-obligatoire qui devrait évidemment céder devant un fait contraire.
Plus délicat à saisir est la pensée de Bellarmin concernant le cas du Pape Libère (encore une fois en fonction des données historiques fort douteuses dont il disposait). Car au chapitre 9 du même livre, il argumente que Libère a bel et bien perdu le pontificat, et ce en conséquence d'une hérésie qu'il considère purement interprétative - l'opinion commune le tenait à tort pour hérétique:
À moins d’admettre une défaillance temporaire de la part de Libère dans la défense de la foi, nous sommes contraints d’exclure du nombre des Pontifes Félix II dont le pontificat eut lieu alors que Libère était encore vivant, tandis que ce même Félix est vénéré comme Pape et Martyr par l’Église Catholique. … Mais même à admettre tout cela, Libère n’a pas pour autant enseigné l’hérésie ni été hérétique ; il aurait péché seulement par acte externe, comme saint Marcellin, voire, à mon avis, moins gravement que saint Marcellin. … Même si Libère ne consentit pas expressément à l’hérésie, il y consentit d’une façon interprétative.
Pour Bellarmin, en effet, Libère a connu deux pontificats, séparés par le pontificat de saint Félix II. Il a cessé d'être pape durant son exil car, suite à ses actions ou aux informations connues à Rome concernant ses actions, les catholiques tiraient réellement la conclusion qu'il était devenu hérétique.
Lors de son retour il est clair que la vérité s'est éclaircie et il est redevenu pape.
Encore une fois, c'est la théologie qui est intéressante, car si l'histoire de Libère reste obscure, nous en savons bien plus que Bellarmin.
J'ajouterais seulement un rappel que l'opinion que le pape ne peut pas tomber en hérésie comme personne privée a été explicitement laissée libre sans plus au concile du Vatican de 1870 (voir Granderath
Constitutiones Dogmaticæ..., pp. 187-8). Elle n'est donc d'aucune manière obligatoire et BK se trompait lourdement à vouloir la présenter comme telle.