Autour de Dignitatis humanae et de la liberté religieuse.
Et tout d’abord de quoi parle-ton ? Tout simplement du fait que l’Eglise renonce à recourir à la puissance publique pour contraindre à adhérer au catholicisme et réprimer les croyances et les cultes non-catholiques (sauf en cas de troubles à l’ordre public). Il s’agit donc de « l’exemption de contrainte dans la société civile », l’Eglise considérant que « la vérité ne s’impose que par la force de la vérité elle-même qui pénètre l’esprit avec autant de douceur que de puissance », sans préjudice du « devoir moral de l’homme et des sociétés à l’égard de la vraie religion et de l’unique Église du Christ ».
Cet enseignement n’est en tous les cas pas contraire à celui du Christ et des apôtres. Jésus n’a pas demandé aux apôtres de dénoncer les incroyants à l’armée romaine ou à la garde du temple pour que celle-ci les punisse. Il ordonne au contraire de laisser croître le bon grain et l’ivraie jusqu’à la moisson, qui aura lieu à la fin des temps. Dignitatis humanae (ch 11) contient d’ailleurs de nombreuses références scripturaires sur l’absence de contrainte exercée par le Christ et des disciples dans leur prédication.
L’enseignement de Dignitatis Humanae dit il est vrai matériellement le contraire de certaines encycliques de Grégoire XVI et Pie IX en particulier sur la liberté de croyance et de culte. Certains parmi les lecteurs continuent de refuser toute évolution même dans le magistère non infaillible de l’Eglise, ce qui ne tient pas d’un point de vue historique. J’ai cependant lu avec plaisir, à propos des martyrs coptes, que des tenants de l’immutabilité soutenaient un point de vue matériellement contraire à la bulle Cantate Domino du Concile de Florence (qui voue à l’enfer sans restriction tous les hérétiques et schismatiques, même s’ils donnent leur sang pour le Christ). Dans un autre passage, cette bulle dit d’ailleurs matériellement le contraire de ce qu'avait décidé le Concile de Jérusalem à propos des interdits alimentaires, considérant que les circonstances ont désormais changé et que le risque de scandaliser les juifs n’existe plus. Or le concile de Jérusalem avait décrété l’interdit du sang comme prescription divine dont le maintien était nécessaire. En toute hypothèse, si un concile peut revenir sur un autre concile, à plus forte raison peut-il amender l’enseignement de quelques encycliques de papes précédents sur des sujets qui n’engagement pas l’infaillibilité et qui ne contredisent manifestement pas l’enseignement du Christ.
Proclamer la liberté religieuse sur le plan civil était non seulement légitime mais devenait de plus en plus inévitable. Le fait que les pères du concile aient, sans pistolet sur la tempe, voté la déclaration à 97% est suffisamment révélateur. La doctrine dite traditionnelle était difficilement justifiable : exclusivité des droits dans les Etats catholiques avec tolérance éventuelle (pour éviter un plus grand mal) pour les non-catholiques (thèse) – liberté religieuse pouvant être invoquée à titre d’argument ad hominem envers les Etats non catholiques (hypothèse). En somme : j’exige la liberté là où je ne suis pas en majorité mais je la refuse aux autres là où je suis majoritaire. L’Eglise ne peut ériger la duplicité et l’opportunisme en doctrine officielle. La contradiction rendait en outre irrecevables les appels du Vatican pour la protection des catholiques dans les pays communistes. Enfin et surtout, le recours à la force pour réprimer les croyances et les cultes non catholiques avait au final causé plus de mal que de bien à l’Eglise. En France, la thèse avait été mise en pratique avec les protestants : tolérance tant qu’ils étaient assez puissants, puis répression dès qu’ils se furent « convertis » en masse par la grâce des dragons. Le spectacle des pasteurs condamnés à mort pour le simple exercice du culte jusqu’en 1762 et qui montaient à la potence en chantant des psaumes ou celui les réformés condamnés aux galères pour l’assistance à des cultes clandestins ont certainement plus contribué à l’affaissement de la foi catholique en France à la fin du XVIIIe que les persifflages des encyclopédistes.
En définitive, si l'on peut à la rigueur discuter du lien fait par Dignitatis humanae entre liberté religieuse (civile) et dignité humaine, force est de reconnaître que l'exemption de contrainte publique consacrée par ce document est plus conforme à l'Evangile que celui de la mise à mort des hérétiques autorisé par St Thomas sur la base d'une analogie discutable avec le crime de fausse-monnaie (II/II, q. 11, a. 3).