on fait dire à Jean XXIII et à cette allocution bien plus qu'elle ne dit en réalité.
Il est clair, comme l'écrit J. Madiran, que Jean XXIII - très marqué par une spiritualité de l'Esprit Saint - est alors animé, en octobre 1962, d'un optimisme concevable dans une optique eschatologique mais décalé par rapport au réel de son temps. Plus exactement qui correspond à une très courte période chronologique : la sortie de la phase dure de la Guerre froide, l'amorce d'une "détente" - très superficielle - entre Bloc communiste et Bloc occidental, le soulagement après la crise des fusées de Cuba où la 3è guerre mondiale (nucléaire) avait été proche d'éclater.
L'Europe de 1962 voit aussi poindre la société de consommation, son aurore délicieuse sans doute après les dures privations des années 1940 et 1950, la misère du continent après 1945 et spécialement en Italie. Les poisons viennent ensuite dessous l'enrobage sucré...
Donner cet optimisme très conjoncturel comme règle d'or à un concile qui se projette sur le futur était sûrement excessif et malencontreux. Bien sûr aucun historien ne peut prétendre que les "erreurs" - au sens catholique - en 1962 s'évanouissaient "comme brume au soleil" ; moins encore après 1965, moins encore en 1968 et depuis où elles sont, en Europe particulièrement, plus denses et enveloppantes que le plus épaix des fogs londoniens d'antan.
Paul VI et surtout Jean-Paul II ont enlevé, pour partie, les lunettes bien trop roses du pape Roncalli à l'hiver de sa vie. Mais le pli était pris et très souvent, spécialement chez les théologiens conciliaires et post-conciliaires, un absurde parti-pris de tout "positiver" - pour user d'un néologisme publicitaire - est associé intimement à Vatican II.
Faut-il pourtant faire comme ces théologiens (mal inspirés) et absolutiser cet excès d'optimisme d'un pape à moins d'un an de son trépas et lié à une très brève période de l'histoire ? La remise en contexte historique, je sais que Vianney et alii vont encore hurler, ne vaut pas que pour Pie IX en 1864 : il faut l'appliquer à Jean XXIII en 1962 tout autant.
Il convient aussi de lire toute l'allocution. Il semble clair que quand il demande de ne pas multiplier les condamnations, Jean XXIII ne retire rigoureusement rien à celles déjà prononcées, fort nombreuses, Surtout il s'exprime pour le Concile qu'il ouvre et pense court, achevé à Noël 1962 au pire en décembre 1963 ; il n'est aucunement question d'interdire toute condamnation ad perpetuam pour les siècles des siècles.
Reprenons ces passages essentiels du texte giovanéen, toujours omis, jamais commentés par les théologiens et nos contemporains, passages qui sont aussi des indications pour "l'herméneutique" de Vatican II. J'ai surligné les passages qui insistent lourdement et de manière répétitive sur l'herméneutique de continuité. Y-avait-il en 1962 des erreurs majeures nouvelles qui n'étaient pas déjà condamnées par une doctrine catholique "certaine et immuable", "gravée dans vos esprits" ?
- le libéralisme ? maintes fois condamné
- les socialismes et le communisme ? maintes fois condamnés
- le modernisme et l'historicisme ? condamnés
- les racismes et le totalitarisme ? condamnés
Les erreurs nouvelles, enfouissement, tendance syncrétiste en matière religieuse, exagérations idéologiques liées au "gender" etc., sont apparues après Vatican II et n'étaient pas (ou si peu pour la 1ère) dans les débats en 1962.
J'ajoute que le Magistère post-conciliaire, parfois avec trop de retard et sans grand souci de faire appliquer ses arbitrages, a bien condamné les erreurs nouvelles quand elles se sont imposées sur la scène (cf. Evangelii nuntiandi 1975, Evangelium vitae 1995, Dominus Iesus 2000, Liturgiam authenticam, 2001 par exemple).
Ce qui a nettement évolué par rapport à 1962, bien loin de Jean XXIII et je pense à des années lumière de sa culture personnelle pétrie de tridentinisme, c'est que cette doctrine catholique "certaine et immuable" n'est plus aussi bien "gravée dans vos esprits", s'adressant aux évêques et aux clercs a fortiori aux baptisés. Dans cette perte de mémoire, dans cette transmission mal assurée des années 1960 à 1990 gît sûrement une cause majeure interne de la crise de l'Église. De n'avoir pas imaginé l'inimaginable en 1962, on ne peut blâmer Jean XXIII : simplement dire qu'il n'était pas aussi "prophétique" que ne le prétendent ses adulateurs intéressés.
"Le XXIe concile oecuménique - qui bénéficiera de l'aide efficace et très appréciable d'experts en matière de science sacrée, de pastorale et de questions administratives - veut transmettre dans son intégrité, sans l'affaiblir ni l'altérer, la doctrine catholique qui, malgré les difficultés et les oppositions, est devenue comme le patrimoine commun des hommes. Certes, ce patrimoine ne plaît pas à tous, mais il est offert à tous les hommes de bonne volonté comme un riche trésor qui est à leur disposition. Cependant, ce précieux trésor nous ne devons pas seulement le garder comme si nous n'étions préoccupés que du passé, mais nous devons nous mettre joyeusement, sans crainte, au travail qu'exige notre époque, en poursuivant la route sur laquelle l'Église marche depuis près de vingt siècles. Nous n'avons pas non plus comme premier but de discuter de certains chapitres fondamentaux de la doctrine de l'Église, et donc de répéter plus abondamment ce que les Pères et les théologiens anciens et modernes ont déjà dit. Cette doctrine, Nous le pensons, vous ne l'ignorez pas et elle est gravée dans vos esprits. (...) Ce qui est nécessaire aujourd'hui, c'est l'adhésion de tous, dans un amour renouvelé, dans la paix et la sérénité, à toute la doctrine chrétienne dans sa plénitude, transmise avec cette précision de termes et de concepts qui a fait la gloire particulièrement du concile de Trente et du Ier concile du Vatican. (...) Il faut que cette doctrine certaine et immuable, qui doit être respectée fidèlement, soit approfondie et présentée de la façon qui répond aux exigences de notre époque. En effet, autre est le dépôt lui-même de la foi, c'est-à-dire les vérités contenues dans notre vénérable doctrine, et autre est la forme sous laquelle ces vérités sont énoncées, en leur conservant toutefois le même sens et la même portée." (Jean XXIII Gaudet Mater Ecclesia, 11 octobre 1962)
nb. le 11 octobre 1962, l'Église fêtait la Purification de Marie, Jean XXIII plaçait le Concile délibérément dans une ambiance mariale, pas très "révolutionnaire" ...