je n'en suis pas déshonoré, mais ce n'est plus ma pensée.
1. Mon propos dans le message initial à l'échange auquel vous renvoyez, qui est un extrait d'un manuscrit que je parachève, est de dénoncer l'indigence du concept de "modernité" ou de "modernisme". Le "modernisme", non seuelement en tant que tel, mais en tant que concept désignant un faisceau d'erreurs, est une addition d'hérésies bien cernées, mais mal définies. Le concept est ambiguë parce qu'il mêle un facteur temporel (la modernité) à un facteur philosophique (le subjectivisme, au pouvoir depuis le cartésianisme, et que fait voir le mot "modus"). Le modernisme est donc un mot valise qui sert à condamner par valise des tendances de la pensée moderne.
2. De plus, ce que j'énonce est que Léon XIII et saint Pie X ont bien cerné l'évolution de la mentalité occidentale, mais en la décrivant, ils n'ont pu l'empêcher.
3. Pire, le modernisme, dont je ne crois pas qu'il ait jamais périclité et que le serment antimoderniste a été impuissant à éradiquer, s'est insinué dans le concile Vatican II à travers le l'"ouverture au monde", ce qui est un cas typique d'"américanisme", forme simple et abâtardie de piété moderniste, qui résulte avant tout d'une attitude intellectuelle.
4. Mon propos n'est pas de dire si les Pères du concile ont commis une erreur de préconiser "l'ouverture au monde". Il est de montrer qu'ils ont manifestement contredit le magistère de Léon XIII. Mon propos est de souligner que le magistère se contredit avec cet exemple qui en fait la démonstration grossière. Mais à la différence de la majorité des liseurs de ce forum, que le magistère se contredise ne me pose pas un problème. Ce serait le plutôt contraire qui pourrait m'en poser un, car le principe de non contradiction temporelle imperméable aux fluctuations historiques prouverait que l'Eglise ne propose pas une doctrine, mais véhicule une idéologie. Le propre d'une idéologie selon Hannah Arendt (reprise entre mille par eric werner, qui explique bien cela dans "Après la démocratie") est d'être un système de croyances et d'idées hermétiquement fermé sur lui-même.
6. Mais mon propos est aussi de dire que Léon XIII et Saint Pie X ont commis une erreur stratégique, d'abord en recourant à des concepts indigents ou boîteux: le modernisme, temporalisme ambiguë, ou l'américanisme, localisation d' erreurs polymorphes. Il y a eu une paresse de la désignation de l'erreur, même si l'analyse fera date, dans l'histoire des mentalités, car elle s'est révélée prophétique. Mais c'est sans précédent que des hérésies, si le modernisme en est un ramassis, soient désignées par un temporalisme ou un localisme, qui sont philosophiquement des coquilles vides.
7. En second lieu, l'erreur de ces deux papes est, selon mon opinion, d'avoir condamné un processus qu'ils avaient parfaitement analysé, sans voir que le progressisme était intimement lié au progrès lui-même. Il n'y a pas d'invention humaine ou technique qui soit neutre et qui ne véhicule pas une façon de penser. L'homme met de la pensée jusque dans l'usage qu'il fait des choses. Les deux papes qui furent à la charnière du XIXème et du XXème siècle auraient été mieux inspirés (mais il est facile de refaire l'histoire) de ne pas opérer de fausse scission dans le progrès et de préciser ce qu'ils en acceptaient et ce qu'ils en refusaient. En prenant soin tout de même de ne pas condamner un processus, car un processus a quelque chose d'inéluctable. Par exemple, au risque de vous choquer, dès lors que la révolution des transports a considérablement facilité et raccourcis les voyages, j'ai toujours tenu l'immigration pour un phénomène inéluctable, ce qui n'empêche pas de contrôler les flux migratoires et d'organiser l'accueil et l'intégration des étrangers. C'est, mutatis mutandis, ce que nos deux papes auraient dû faire: faire la part de l'inéluctable et refuser le contingent immoral ou contraire à la foi.
8. Enfin, ce que votre citation d'Hitler révèle de façon stupéfiante, ce n'est pas que le national socialisme est une hydre moderniste, ni même qu'il est issu du modernisme, c'est qu'il aurait voulu l'instrumentaliser, car le modernisme est facilement instrumentalisable, nous en avons la preuve tous les jours avec, pour aller vite au risque de proposer une analogie qui n'est pas une équivalence, l'instrumentalisation, de la mondialisation, fruit du modernisme, par le mondialisme, idéologie tentaculaire, elle aussi mal désignée et qui ne prend pas la peine de se définir pour se rendre plus difficile à combattre. Je crois davantage que le modernisme appartient à la même génération intellectuelle que le marxisme, il s'agirait de préciser s'il lui est antérieur ou postérieur. Il nous manque en effet une généalogie du modernisme. Le marxisme est-il à la source du modernisme? Si c'est le cas, la chose vaudrait d'être bien exposée.