Merci pour votre mot, qui, pour le coup, m'a poussé à me relire un peu... Mon Dieu! Que de fautes d'orthographes dans mon message, j'en suis tout confus et "bienheureusement" humilié! Que les liseurs me pardonnent ce mot écrit à la va-vite, vraiment !
Oui, oui, allez donc découvrir (si vous ne la connaissez pas) l'interprétation du chant grégorien que propose l'ensemble Discantus. Peut-être serez-vous spontanément séduit. Peut-être, à l’inverse, serez-vous, décontenancé, voire même perplexe. Il faut vous laisser un peu apprivoiser, pendant quelques jours, avant de poser un jugement... car la sentinelle de l'affectivité – et nos attentes culturelles - veuille à la porte du cœur et de l'intelligence , et, en matière esthétique, elle peut quelquefois accomplir un mauvais office, surtout lorsqu’il s'agit de grands amours, et le chant grégorien assurément, pour vous comme pour moi, doit en être !
Toute profondeur suppose le temps, le temps d’entrer, de demeurer, d’apprécier...
Ensuite (ré-)écoutez avec le Triplex dans une main et Dom Cardine (Sémiologie grégorienne) dans l'autre. Vous verrez alors combien cette interprétation est d'une objectivité exemplaire et rare, ne laissant rien au hasard ni au caprice de l’interprète, la part de subjectivité de l’interprète étant réduite à maximum. Précisément cette rigueur scientifique est ici l’émule de la jubilation artistique, non son ennemie.
A partir de là vous verrez sans doute se dégager deux qualité essentielles - à mon sens du moins - qui confirment la magnifique réussite de cette interprétation, que je qualifierais d'essentielle, car cette réussite ne touche pas uniquement à la périphérie de la musicalité grégorienne, mais à son essence même :
1) La modalité.
Il se dégage de l'écoute d'une telle interprétation une clarté translucide de la modalité tout à fait saisissante. Le fait s'explique notamment par le respect rigoureux des indications rythmiques des premières notations grégoriennes (10e s.), qui induisent, lorsqu’on les respecte vraiment (peu le font), la mise au premier plan des notes structurantes du mode tandis que les notes de passages (éléments d’ornementations formant des guirlandes souvent d’ailleurs fort belles et généreuses – l’édition médicéenne les supprimera hélas, sans les comprendre…) apparaissent comme on second plan. Ce fait n’est pas celui d’un interprète qui appliquerait de manière éclairée, mais subjective, son savoir théorique sur la modalité grégorienne dans telle ou telle pièce. Non, ce fait est parfaitement philologique et objectif : la simple conséquence d’une lecture rigoureuse de ce qui est écrit sur la partition (manuscrit), à la lumière de la sémiologie (sens du signe) établie et décryptée par Dom Cardine. Aucune fantaisie, ni liberté ici. Le résultat de cette interprétation est pour moi de l’ordre d’une preuve a posteriori – par l’interprétation - de la juste description de Dom Cardine : l’apparition lumineuse, évidente, translucide… de la modalité avec toute la jubilation esthétique et spirituelle que la modalité porte en elle.
2) la mélodie.
L’autre qualité essentielle est – d’ailleurs liée à la première – le fait que le chanteur (en l’occurrence les chanteuses) envisage la phrase comme une unité musicale première, élémentaire. Ici, le nombre musical primaire n’est pas le 1-2 ou le 1-2-3 de Dom Mocquereau… mais la phrase elle-même, pas moins ! Vous me direz : mais c’est impossible, nul ne peut réussir à faire cela. Eh bien écoutez Discantus. Pour le coup la phrase tend à ne devenir plus qu’un seul évènement musical, certes avec toutes les dentelles et guirlandes précitées, mais néanmoins en un trait, un geste, un élan musical. Cette approche – confirmée par ailleurs par tous les traités anciens sans que l’on sache toujours très bien à quoi rattacher concrètement l’idée de phrase ou de phrasé, justement – trouve ici une application très concrète et simple (sans doute virtuose dans l’exécution, mais simple au sens philosophique) qui va dans le sens de la beauté telle que le Moyen age l’a, de saint Augustin à saint Thomas, toujours décrite : Dieu est simple, la beauté doit manifester cette unité première, et partant induire la simplicité du cœur (ou pureté du cœur)…
Dans les interprétations de Discantus la mélodie, totalement au service de la phrase (et non du mot, voire d’une entité rythmique fragmentée encore plus en-deçà que le mot…), trouve un déploiement incandescent, lumineux et proprement jubilatoire. Et cette jubilation, contrairement à certaines idées reçues typiquement modernes et postromantiques - et peu conformes avec le cœur de la théologie chrétienne - n’est pas contraire à la Paix, ni la Paix contraire à cette jubilation : ce sont les deux faces de la même pièce. De fait en écoutant Discantus on constate que cette joie (qui apparait notamment dans la célérité du trait, sa vivacité, son éveil, sa lumière – des grands yeux ronds d’enfant) est justement ce qui contribue à la paix et l’apaisement qui se dégage de l’ensemble, dans la mesure où justement le geste artistique est radicalement simple : nous n’avons plus qu’un évènement musical (unité, simplification de l’art(ifice), pureté…) par phrase. Mais ce que je viens de dire, n’est-ce pas le dessin de la psalmodie justement, dont chacun sait qu’elle est la source du chant orné ?
Voilà ! Certes on pourra ensuite, sans doute, toujours trouver des défauts de périphéries, ici ou là, des approches à améliorer, des incompréhensions ponctuelles, etc. , mais globalement l’interprétation de Discantus reste, pour moi, la plus conforme et la plus lumineusement respectueuse de la lettre (partition, histoire, musicologie, technique vocale… etc) et de l’esprit (théologie, liturgie, science de la prière, joie, paix, oraison contemplative, ascèse…) du chant grégorien.
Un regret, pour ma part : qu’il n’y ait pas, aussi, en plus, de pendant masculin à l’ensemble Discantus.
Vous recommande ce disque, notamment la plage 16 :
Mais pour le contexte de Noël, celui-ci est aussi indiqué:
Belle fête de Noël !