ce que je n'ai pas dit. Je ne prétends pas que les moines de Solesmes étaient ou sont une bande d'originaux. J'ai beaucoup admiré la méthode de travail de Dom Pothier (tableaux comparatifs des différentes versions de manuscrits en neumes) dont je me suis très largement inspirée en faisant l'édition critique de séquences du Xe siècle. J'ai beaucoup de respect pour Dom Gagné que j'ai rencontré à quelques reprises (il a même chaleureusement félicité le petit choeur grégorien que je dirigeais lors d'une messe traditionnelle, l'interprétation que je préconise ne doit donc pas le choquer !), qui a été maître de chapelle à Solesmes et maintenant à St Benoît-du-Lac, qui fait des recherches sur les versets et qui est un excellent organiste. Les interprétations de Solesmes me paraissent seulement fades et pas convaincantes pour prouver l'exactitude de leur méthode qui ne transparaît guère dans leur exécution, car tout y est uniforme. Ce sont des moines et non des chanteurs formés aux techniques vocales: cela s'entend. Un Alleluia pascal y est chanté avec la même moiteur que le De profundis. Je préfère Fontgombault et Silos.
En vérifiant dans la bibliographie de mes recherches de doctorat, faites il y a plusieurs années, je me suis effectivement tapé tout Dom Mocquereau, Dom Gajard, Dom Cardine, Dom Ferreti, Dom Hourlier, etc. et j'ai énormément consulté et apprécié la "bible" paléographique de Dom Sunol. J'ai aussi lu les adversaires de l'école de Solesmes comme les bénédictins Dom de Malherbe et Dom Jeannin, le jésuite Antoine Dechevrens, le musicologue Peter Wagner (ouf! vous me faites chercher dans de vieux souvenirs !) et consulté de nombreux musicologues sur la question, comme Jacques Chailley, Solange Corbin, Richard Crocker, ...
Ce qui suit est un peu difficile à expliquer si on ne l'a pas vécu : vous me pardonnerez de ne pas arriver à être plus claire. C'est la conclusion de mes études sur les séquences.
La comparaison des neumes et des mots latins dans les séquences syllabiques met en évidence absolue la corrélation directe entre leurs accents. Les accents toniques des mots latins correspondent à plus de 95% des cas avec ceux des neumes (les 5% qui restent étant souvent des mots monosyllabiques ou au contraire très longs). Quand on a pris l'habitude de transcrire à la plume des pièces grégoriennes en neumes (demandez à M. Décaillet ce qu'il en pense !) et qu'on les chante ensuite, le mouvement de la main dans l'écriture transmet à la voix les accents et le rythme propre de chacun de ces neumes. Les chantres médiévaux ne s'y trompaient pas : pourquoi auraient-ils adopté des neumes différents pour écrire des notes séparées à valeur totalement égale ? Pourquoi toutes ces combinaisons extrêmement variées de neumes si la clé du rythme et de l'expression de ce chant n'était pas là, dans les accents des neumes et dans leurs groupements ? Quand on a commencé à écrire les neumes, la main suivait ce que faisait la voix par tradition orale, de manière souple et naturelle. Le neume équivaut au petit rythme inscrit dans le grand rythme de la phrase. C'est pourquoi on voit dans les manuscrits les lignes des vocalises, par exemple, suivre une direction tantôt ascendante, tantôt descendante qui correspond à ce grand rythme.
Une chironimie efficace et naturelle n'aurait qu'à suivre le mouvement des neumes, qui suivent eux-mêmes le texte.
Par ailleurs, il est sûr que la notation carrée, en hachurant en quelque sorte les neumes et les phrases musicales, n'exprime plus ce mouvement souple, ces élans, ces dépositions de notes, ces sauts (pour le fameux salicus !), ces accents, ces notes répétées ou tenues, ces rebondissements,... Il est instinctif, en chantant avec des notes carrées, surtout les manuscrits de plain-chant où les neumes sont réduits à une peau de chagrin, de transmettre par la voix cet effet visuel carré et haché. De là aux voix "viriles" et lourdes, mêlées de sons gutturaux, il n'y a qu'un pas.
J'espère que vous aurez compris quelque chose à ma prose si pauvre pour décrire tant de merveilleuses choses ! Nous partageons le même amour pour l'Église et pour son chant séculaire et vénérable.
Amicalement
Balbula
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