Article 5
Si la femme avait péché, mais non pas l'homme, y aurait-il transmission du péché originel ?
Objections : 1. Selon toute apparence, oui. Car nous recevons de nos parents le péché originel dans la mesure où nous avons existé en eux, selon le mot de l'Apôtre (Rm 5, 12 Vg) : « Celui en qui tous ont péché. » Mais l'homme ne préexiste pas moins dans sa mère que dans son père. Il contracterait donc le péché originel à partir du péché de sa mère, comme il le contracte à partir du péché de son père.
2. Si Ève avait péché mais non pas Adam, les enfants naîtraient cependant passibles et mortels, puisque « dans la génération c'est la mère qui donne la matière », dit le Philosophe ; la mort, comme toute passibilité, provient de l'exigence de la matière. Mais la passibilité et la nécessité de mourir sont la peine du péché originel. Donc si Ève avait péché et non pas Adam, les enfants contracteraient le péché originel.
3. Le Damascène dit que « l'Esprit Saint a prévenu cette faute chez la Vierge » et l'en a purifiée, afin que le Christ pût naître de Marie sans la souillure originelle. Mais une telle purification n'aurait pas été nécessaire si la souillure ne venait pas aussi de la mère. Donc l'infection du péché originel se communique par la mère. Ainsi le péché d'Ève eût fait dériver sur ses enfants la faute originelle, même si Adam n'avait pas péché.
En sens contraire, d'après l'Apôtre (Rm 5, 12) : « Par un seul homme le péché est entré dans le monde. » Si la femme avait transmis à sa descendance le péché originel, il aurait mieux valu dire « par deux », puisque tous deux ont péché ; ou plutôt « par la femme », puisqu'elle a péché la première. Donc les enfants ne reçoivent pas le péché originel de la mère mais du père.
Réponse : La solution de ce problème ressort de ce qui précède. Nous avons dit en effet que le péché originel est transmis par le premier père dans la mesure où c'est vraiment lui qui contribue à la génération de ses descendants. Voilà pourquoi, avons-nous dit, si quelqu'un n'était fils d'Adam que matériellement et par la chair, il ne contracterait pas le péché originel. Or il est évident, d'après ce que disent les philosophes que dans la génération le principe actif vient du père et que la mère fournit la matière. C'est pourquoi le péché originel ne vient pas de la mère mais du père ; de sorte que si Ève avait péché et non pas Adam, les enfants ne contracteraient pas le péché originel, tandis que ce serait le contraire si Adam avait péché et non pas Ève.
Solutions : 1. Le fils préexiste en son père comme dans un principe actif, en sa mère comme dans un principe matériel et passif. Aussi la comparaison ne vaut pas.
2. Certains pensent que si Ève avait péché et non Adam, les enfants auraient été exempts de la faute, mais auraient eu à endurer la nécessité de mourir et les autres possibilités de souffrir qui proviennent des exigences de la matière, puisque c'est la mère qui fournit la matière, non à titre de peine mais avec les limites qui lui viennent de la nature. - Mais cela ne parait pas cohérent. L'immortalité et l'impassibilité de l'état primitif ne dépendaient pas des conditions de la matière, comme nous l'avons dit dans la première Partie mais bien de la justice originelle, par laquelle le corps était soumis à l'âme aussi longtemps que l'âme serait soumise à Dieu. Or, l'absence de cette justice originelle, c'est le péché originel. Donc si, Adam ne péchant pas, le péché d'Ève n'eût pas suffi à transmettre le péché originel à ses enfants, il est évident qu'il n'y aurait pas eu chez ceux-ci absence de justice originelle ni, par suite, passibilité d'aucune sorte ou nécessité de mourir.
3. Cette purification prévenante en faveur de la Bienheureuse Vierge n'était pas requise pour empêcher la transmission du péché originel, mais parce qu'il fallait que la Mère de Dieu brillât d'une pureté extrême. Car rien n'est digne d'être la demeure de Dieu, sans la pureté, selon le Psaume (93, 5) : « La sainteté convient à ta maison, Seigneur. »
Secunda pars, question 81, article 5