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Linceul de Turin : Jean-Christian Petitfils rate une occasion d’élever le débat
Présenté comme une « enquête définitive », le nouveau livre de l’historien Jean-Christian Petitfils s’attache à démontrer l’authenticité du saint suaire. Une lecture malheureusement trop partiale des éléments du dossier.
Par Sixtine Chartier
Publié le 30/08/2022
Le linceul de Turin (ou saint suaire) est conservé depuis 1578 dans la chapelle de Guarini de la cathédrale Saint-Jean-Baptiste de Turin. Ici, une reproduction du négatif photographique du linceul.Le linceul de Turin (ou saint suaire) est conservé depuis 1578 dans la chapelle de Guarini de la cathédrale Saint-Jean-Baptiste de Turin. Ici, une reproduction du négatif photographique du linceul. • ALEXANDRE MARCHI/PHOTOPQR/L'EST REPUBLICAIN/MAXPPP
L’affaire est pliée. Selon Jean-Christian Petitfils, écrivain et historien, le doute n’est plus permis : le linceul de Turin (aussi appelé saint suaire) est bien celui dans lequel Jésus a été enseveli aux alentours de l’an 33 de notre ère.
Conservé depuis 1578 à la cathédrale de Turin, ce grand drap de lin de plus de 4 m de longueur et de 1 m de largeur porte la double image, de front et de dos, d’un homme nu, portant les marques d’un supplice sanglant qui pourrait bien être une crucifixion. Depuis le Moyen Âge, une tradition en fait l’authentique linceul du Christ, même si dès cette époque des doutes sérieux étaient émis, y compris par certaines autorités ecclésiastiques.
Des polémiques scientifiques autour du Linceul de Turin
Estompée sur le tissu, l’image est réapparue avec une netteté étonnante sur les négatifs des premiers clichés photographiques pris en 1898. Par le jeu de l’inversion des couleurs, le visage du supplicié du linceul ressortait soudain clairement. À l’aube du XXe siècle, le suaire allait connaître un regain d’attention jamais connu auparavant, devenant par là même occasion l’objet de polémiques scientifiques très poussées.
Ce n’est pas la première fois qu’un auteur nous promet de faire « toute la vérité » sur le suaire. Connu, et reconnu, pour ses biographies de personnages du Grand Siècle, comme Madame de Montespan, Louise de La Vallière ou Louis XIV, Jean-Christian Petitfils a nourri en parallèle une passion pour le linceul de Turin depuis une quarantaine d’années. En 2011, il avait déjà qualifié le linceul de « source précieuse » à l’occasion de la sortie de sa biographie de Jésus, sa première incursion en histoire ancienne.
Des sources contestées
Sur ce sujet où les informations fourmillent, l’approche globale et franche de Petitfils (le linceul est-il celui du Christ, oui ou non ?) est séduisante. Mais le récit se heurte à des problèmes majeurs. D’abord, l’absence totale de nuance dans ses conclusions. Si l’auteur reconnaît que les sources historiques manquent parfois de solidité pour prouver l’authenticité de l’objet, il considère que « les derniers acquis incontestables de la science (…) évacuent aujourd’hui le moindre doute ».
Par science, entendez les sciences dures (chimie, physique, etc.) qui tendraient à montrer que le linceul date bien de l’époque du Christ et présente des singularités étonnantes qu’on ne pourrait attribuer à une simple peinture.
Pourtant, d’un côté comme de l’autre, les démonstrations de l’auteur ne s’imposent pas avec « l’évidence » qu’il proclame. De nombreux chercheurs, comme Walter McCrone, Andrea Nicolotti, Gabriel Vial ou encore Odile Celier, tout aussi dignes de confiance (voire parfois plus que ceux cités par Petitfils), défendent les thèses opposées. L’auteur les rejette d’un bloc comme des « informations erronées circulant dans les médias ».
Il leur préfère les études de chercheurs spécialisés dans l’étude du suaire, baptisés « sindonologues » (du grec sindon, linceul), ou du groupe de recherche Sturp (Projet de recherche sur le suaire de Turin). Parmi ces études, certaines sont valables, publiées selon les règles de l’art… quand d’autres sont beaucoup plus contestées.
De fait, en se focalisant sur la question de l’authenticité du suaire, certains de ces scientifiques ont fini par dépasser leur champ de compétences. Faire de ce type de chercheurs une source exclusive de savoir sur ce sujet est donc un biais important. Assumé par l’auteur ? Certes, mais le lecteur regrettera sans doute qu’on lui force ainsi la main.
Des trous comme autant de gouffres infranchissables
Sur le volet purement historique, le récit de Petitfils déploie une chronologie audacieuse. Il commence sa narration en l’an 33 au moment de la mort du Christ pour dérouler ensuite le supposé périple du linceul. Pour le plus grand bonheur du lecteur, mais moins de l’historien.
Car ce dernier est en réalité confronté à des trous dans les sources documentaires qui constituent des gouffres infranchissables. Impossible de remonter au-delà du XIVe siècle, période à laquelle le saint suaire est mentionné pour la première fois de façon irréfutable dans un texte parvenu jusqu’à nous.
Ainsi, l’assimilation entre le voile d’Édesse, un linge portant l’empreinte du visage du Christ apparu autour du VIe siècle (aussi connu sous le nom de Mandylion et vénéré dans l’empire byzantin), transporté à Constantinople au Xe siècle et disparu au début du XIIIe siècle, et le linceul relève plus de l’ordre du fantasme que de la vérité historique.
Si seulement l’auteur avait montré combien ses pistes étaient friables et qu’il était possible d’emprunter d’autres chemins, la lecture de l’ouvrage aurait pu bénéficier au lecteur… Hélas ! Cette « enquête définitive » est une nouvelle occasion manquée d’élever le niveau de la conversation sur le saint suaire.
Échaudés par la virulence (et la stérilité) des débats, les historiens ont depuis longtemps délaissé le terrain de l’authenticité du linceul, pour se consacrer à des études sur la dévotion suscitée par l’objet. À l’exception de l’historien de référence sur le sujet, l’Italien Andrea Nicolotti, qui se dévoue encore à réfuter les thèses les plus farfelues. Malheureusement, ses ouvrages ne sont pas traduits en français à ce jour.
Un vaste champ de recherches inexploré
Il y a pourtant encore beaucoup de choses à dire (et à trouver) sur le linceul de Turin, assurent les quelques chercheurs qui travaillent aujourd’hui sur le sujet. L’approche par l’histoire de l’art manque cruellement, estime par exemple Nicolas Sarzeaud, auteur d’une thèse, fin 2021, intitulée Copie et culte : le suaire du Christ, une image-relique reproductible (XIVe-XVIe). Un champ de recherches classique mais délaissé par les sindonologues qui ont toujours privilégié les études peu habituelles pour des textiles anciens comme la recherche d’ADN ou de pollens.
Car si nous ne savons toujours pas comment l’image du Christ s’est retrouvée imprimée sur ce tissu, ce n’est pas forcément qu’il est surnaturel, mais peut-être parce que nous n’avons pas cherché aux bons endroits. Les spécialistes de « toiles imprimées », une technique qui se développe au XIVe siècle, sont les premiers à demander à étudier le linceul… en vain.
Le primat de l’émotion
De nombreux chrétiens aimeraient que cette version de l’histoire, si bien racontée par Jean-Christian Petitfils, soit véridique. Comment ne pas s’émouvoir en lisant le témoignage du rédacteur de L’Osservatore romano, le journal du Vatican, confronté pour la première fois au négatif du cliché de 1898 cité par Petitfils ? « Nous avons vu distinctement, tels qu’ils étaient, les traits du Rédempteur, et nous avons été les premiers à les revoir après 19 siècles lorsque personne n’aurait osé concevoir une aussi chère espérance », écrivait-il.
Selon Paul Claudel en 1935, cité à la fin de l’ouvrage, c’est une « seconde résurrection », « une présence », porteuse d’une « véracité épouvantable ». Mais ne faut-il pas voir dans l’absence de preuve définitive un signe aussi valable de la présence de Dieu ? Sur le plan spirituel, le saint suaire pourrait alors symboliser la lancinante question de la vérité, jamais complètement accessible, mais jamais complètement cachée.
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