A moins que votre enfance ne remonte à avant la Révolution française, ce qui me surprendrait beaucoup, vous avez grandi dans un monde où la déchristianisation, même si elle ne touchait pas votre village, était un phénomène déjà réel, et où les enjeux d'identification comme chrétien et catholique étaient importants - à la fois à l'échelle individuelle et à l'échelle de la communauté, en l'occurrence villageoise. De ce que je comprends de votre récit, l'arrivée de l'éclusier communiste a constitué un scandale local au sens où il brisait cette identité villageoise catholique.
Pour un homme du XIVe siècle, la question ne se serait pas posé : il était chrétien, et chrétien d'Occident, catholique. A la rigueur le respect du jeûne pouvait porter une marque de dévotion plus ou moins marquée : mais ça n'allait pas au-delà, car, je le répète, la question ne se posait pas.
La Réforme protestant a introduit une première faille, mais alors l'identité était catholique ou luthérienne ou réformée. Il y a eu un enjeu alimentaire dans la Réforme, d'où les premiers assouplissements de la loi du jeûne (des indults autorisant le beurre en Carême), mais cet aspect n'a pas du tout été construit à l'époque comme un vecteur de l'identité catholique ou protestante, contrairement à la pratique religieuse et au vêtement.
Ensuite, pendant les siècles suivants, l'immense majorité de la population était catholique. Même si le taux de pratique religieuse avait déjà commencé de sérieusement baisser dans les grandes villes, les incroyants, non catholiques, étaient encore des intellectuels de milieux très aisés, et une toute petite minorité quoique avec un pouvoir important, pouvoir notamment culturel par le biais des "sociétés de pensée" comme les loges maçonniques.
C'est la Révolution française et la grande rupture religieuse qu'elle a induite qui ont conduit à ce que l'identité catholique ne soit plus évidente en France, sauf le cas des minorités religieuses, et c'est à partir de là seulement que le respect de la loi du jeûne a été construit par les évêques, dans leur pastorale, comme un marqueur de l'identité chrétienne, donc comme un témoignage.
J'ajoute un élément supplémentaire : jusqu'au moins à la fin du XVIIIe siècle, et même jusqu'au milieu du XIXe siècle, la très grande majorité de la population est dans une situation d'incertitude alimentaire, surtout quand vient le printemps, dont il ne vous aura pas échappé qu'il est en général la saison du Carême. Quand de toute façon le repas c'est du pain et des légumes, ou du riz ou du maïs et des légumes comme dans certaines régions d'Italie à l'époque moderne, ou encore des pommes de terre et des légumes comme en Irlande, l'aspect identitaire de manger de la viande ou pas est assez secondaire puisqu'il n'y en a pas ou très rarement. C'est l'avènement progressif au XIXe siècle d'une société d'abondance qui permet le choix alimentaire, qui fait de ce choix un marqueur alimentaire. Auparavant, la question ne peut concerner que les quelques pourcents les plus aisés de la population, essentiellement des urbains.
Bref : nous nous posons des questions de ventres pleins.
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