Selon un spécialiste du Concile Vatican II... par Chicoutimi 2020-06-19 18:48:38 |
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le prêtre et théologien québécois Gilles Routhier, il est clair qu'il y a ruptures et nouveautés dans le Concile, particulièrement concernant la liberté religieuse:
''Vatican II marque à coup sûr une rupture et prend position par rapport à certaines formes ou idées développées au cours de l’histoire du christianisme. Toutefois, on ne peut l’envisager en dehors de toute continuité avec le catholicisme des années précédentes et on comprend bien le risque qu’il y a à opposer une «Église préconciliaire» à une «Église postconciliaire», comme le fait le professeur Kasper. Je suis bien sensible à cette idée puisque, au Québec, on a eu tendance à lire notre histoire récente en termes de rupture plutôt qu’en terme de continuité, ce qui comporte un véritable risque.''
''S’il ne faut pas penser les choses en termes de commencement absolu avec Vatican II et si son herméneutique commande de situer son enseignement sur un horizon plus large, celui de la tradition globale de l’Église — encore qu’il faudrait préciser un peu mieux ce que cette expression recouvre — il ne faut pas non plus renoncer à identifier les ruptures qui ne sont pas négligeables, ce à quoi s’emploie d’ailleurs le professeur Kasper en 1966 dans un chapitre d’un ouvrage collectif. Convenons que, s’il y a de nombreuses continuités, les ruptures sont manifestes. Le fait, par exemple, qu’aucun des 70 textes élaborés par les commissions conciliaires préparatoires — à l’exception notable du De sacra liturgia — n’ait réellement constitué la base des textes conciliaires adoptés — encore qu’on en retrouve encore des traces importantes — n’est pas sans portée ni signification. Comme le remarquait G. Thils, «être fidèle au concile, c’est donc être fidèle aussi à l’évolution qu’a vécue l’assemblée conciliaire, à la trajectoire qu’elle a suivie et, surtout, au terme qu’elle a atteint».
''Que l’on ait parlé de « Révolution d’octobre » pour désigner les votes d’orientation obtenus en octobre 1963 sur la collégialité, ou du «big Day» ; «Day of Destiny», pour désigner la journée du 21 septembre 1965 où l’on obtint un vote sur la Déclaration sur la liberté religieuse, est significatif de quelque chose et on ne pourra pas embaumer tout cela en prétendant qu’il n’y aurait que continuité ou développement homogène de la doctrine. Certes, les formules sont sans doute emphatiques et les expressions hyperboliques. Toutefois, il ne faut pas tout réduire à l’exagération, car on ne comprendrait plus alors ce qui s’est passé.
La réaction des observateurs, surtout états-uniens, à ce vote tant redouté du schéma sur la liberté religieuse, est également fort significative et la presse, en particulier anglo-saxonne, ne manque pas de relever l’importance de ce vote. Ainsi, le Times de Londres salue le vote comme « un grand événement dans l’histoire du catholicisme et dans l’histoire de la liberté » alors que le Daily American consacre à la question son plus long éditorial depuis la mort de Kennedy. Plusieurs journaux, en Italie, en France, aux États-Unis, relatent avec force détails les péripéties qui ont conduit au vote.
Du côté des non-catholiques, les réactions sont souvent enthousiastes. Pour Prince Taylor, président du conseil des évêques méthodistes des États-Unis, ce vote revêt « une signification d’importance mondiale » alors que A.C. Outler parle « de la victoire la plus importante » du concile. Du côté de l’Église presbytérienne, E. Blake note que ce geste va «définitivement améliorer les relations entre les Églises réformées et presbytériennes à travers le monde et l’Église catholique». Le point de vue est partagé par la conférence états-unienne des chrétiens et des juifs pour qui les effets d’une telle déclaration se feront sentir «pendant des milliers d’années». Pour D. Horton, il s’agit d’«un vote aux conséquences infinies» alors que pour W.B. Blakemore, il s’agit de l’achèvement d’une semaine qui s’est avérée être le «climax des quatre années du concile […] et une des plus grandes semaines de toute l’histoire du catholicisme».
Dans ce cas, pour revenir à la question de la continuité avec la tradition globale de l’Église, les Pères du concile — aussi bien ceux en faveur de la Déclaration que ceux qui la combattaient — avaient bien conscience qu’il y avait là, à tout le moins, un dépassement, un élargissement ou un développement de cette tradition, si bien qu’il a fallu soumettre aux Pères pour le vote une question un peu « jésuite », suivant l’opinion du pasteur Boegner, qui se disait outré qu’un concile ait besoin de déclarer qu’il allait se conformer à la doctrine catholique. Il faut en convenir, sur ce point, comme sur plusieurs autres, le concile introduit une nouveauté et il ne s’est pas simplement contenté de répéter ce qui était acquis, suivant en cela la recommandation de Jean XXIII, lors de son discours d’ouverture. Triant dans les acquis des derniers siècles, Vatican II représente un processus ecclésial de discernement qui amène l’Église catholique à recadrer ou à situer à l’intérieur de nouveaux équilibres certaines affirmations qui avaient pris une importance considérable et à tenir un discours qui lui semblait étranger au cours des décennies précédentes. De fait, il ne faut pas simplement lire Vatican II à la lumière du magistère pontifical qui le précède, mais lire aujourd’hui cet enseignement dans la lumière que représente Vatican II.''
''Il est d’ailleurs significatif que les Pères eux-mêmes, au-delà des arguments théologiques, renvoient, par-delà l’assemblée conciliaire, aux attentes du monde pour presser l’adoption de la Déclaration sur la liberté religieuse. Les deux interventions des évêques états-uniens partent des requêtes du temps présent : «Cum praesertim in hodiernis […]» ; «est hodie necessitas pastoralis primi ordinis». Toutes deux renvoient au contexte pastoral (la crédibilité de l’Église auprès des États et des non-catholiques pour Spellman; la crédibilité de l’Église dans l’annonce de l’Évangile pour Cushing), au monde concret, à la vie de l’Église et à celle des hommes en société et aux attentes des contemporains.
On retrouve un motif semblable dans l’intervention du cardinal Rossi (São Paulo) qui parlait au nom de 82 évêques brésiliens, notant que le texte à l’étude répondait aux attentes actuelles, en s’appuyant sur un fondement solide et dans un langage adéquat pour parler à nos contemporains. On pourrait aussi verser au dossier l’intervention de Mgr Gran, évêque d’Oslo, pour qui la Déclaration apportait au monde le gage de la sincérité de l’Église catholique. Elle répondait aux attentes du monde contemporain et si le concile n’allait pas de l’avant, beaucoup de gens en seraient scandalisés. L’Église ne peut pas revendiquer pour elle-même des privilèges ou demander aux autres ce qu’elle ne peut pas elle-même accomplir, sinon, elle sera accusée de duplicité et on doutera de sa sincérité.''
''(...) l’histoire d’un texte ne se ramène certainement pas à l’histoire officielle du texte. À titre d’exemple, la conférence que donnait John Courtney Murray au Centre de documentation hollandais le jour même où s’engageait le débat sur la liberté religieuse à la quatrième période (15 septembre) et celle que Congar donnait le lendemain sur le même sujet ont sans doute contribué à former l’esprit de plusieurs Pères conciliaires, plus peut-être que bien des débats officiels. Pourtant, cela ne sera jamais consigné dans l’histoire officielle des textes. Mais il nous faut élargir encore : le voyage de Paul VI à l’ONU a sans doute contribué de manière importante à l’issue du vote sur le même schéma. On n’a pas ici un simple élargissement puisque l’on passe des discours à un événement qui détermine la marche du concile, en tout cas, son calendrier. Certains ont parlé de dynamique conciliaire.''
''(...) la périodisation de l’histoire contemporaine de l’Église catholique élaborée par la grande majorité des historiens indique bien que, quelque part, Vatican II marque une rupture, sans doute pas avec la tradition globale de l’Église ou de la tradition de tous les conciles, mais par rapport à ce qu’on avait fini par considérer comme la tradition. S’il n’y a pas de «rupture absolue en histoire», comme le souligne d’entrée de jeu le dernier volume de la série de l’Histoire du christianisme, on ne manque pas d’indiquer que le christianisme entre, au début des années 1960, dans une nouvelle saison de son existence bi-millénaire.''
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