Votre analyse me semble juste et nuancée, cependant quelques points d'attention:
- ce n'est pas parce qu'il y a eu gradation entre tous les points que vous évoquez (avec justesse) que l'on peut condamner l'ensemble de l'oeuvre réformatrice conciliaire. Entrons dans le détail:
Le point 1 devrait être accepté par tous: c'est le couronnement et l'officialisation dans l'Eglise des intuitions du mouvement liturgique, c'est à dire d'une redécouverte en profondeur par l'Eglise de sa propre tradition liturgique. J'ai voyagé dans les pays d'Europe orientale, j'ai pu assister à des liturgies orthodoxes. Puis j'ai pu comparer avec la liturgie vécue chez les catholiques d'Occident, que ce soit NOM ou VOM. Il faut regarder la réalité en face: chez nous Occidentaux, il y a un problème concernant la liturgie, un énorme problème, et ce même dans le VOM, un problème dont il est difficile de définir les contours exacts mais qui saute aux yeux pour ceux qui ont eu l'occasion d'effectuer les comparaisons dont je parle.
Les orientaux ont une manière naturelle de vivre leur tradition liturgique, sans crispation, sans rigidité ni laisser-aller. Cette liturgie les immerge dans un autre monde, une autre réalité qui n'est pas un "arrière-monde" au sens nietzschéen mais ce monde-ci transfiguré par le sacré et la grâce divine. Leur approche des mystères sacrés leur permet de se nourrir de la liturgie, qui les illumine de l'intérieur.
Chez nous, il y a eu à un moment donné une rupture qui a entamé une lente mais certaine décadence du rapport de l'homme à la liturgie. D'un point de vue chronologique, je pense que cette rupture fondamentale a eu lieu au début de la Renaissance, (ou la fin du Moyen-Age?) avec l'erreur nominaliste, puis l'apparition d'un humanisme a-religieux, enfin avec l'apparition de l'imprimerie (qui n'a peut-être pas constitué l'immense progrès que l'on nous a vendu), la Réforme protestante (fondamentalement anti-liturgique) et en réaction la codification des rites par Pie V (qui apparaissait peut-être nécessaire à l'époque mais qui a "tué" l'esprit liturgique traditionnel en le fossilisant). Comme par hasard, c'est à cette époque que l'on construit les premières églises non-orientées (preuve que l'on commence à perdre la conscience que la liturgie est de nature cosmologique), c'est aussi à cette époque que l'on introduit l'usage des bancs dans les églises (qui font de la liturgie quelque chose de scolaire, en enfermant les fidèles dans une attitude figée), etc.
Aujourd'hui, nous avons soit dans les paroisses ordinaires une liturgie qui en réalité n'en est plus une, c'est à dire des célébrations fades, décousues, bien souvent grotesques, bavardes, horizontales, laides... soit, dans les paroisses VOM, une liturgie rigide, vécue d'une manière non naturelle, souvent mécanique, bien que l'on puisse percevoir dans ces liturgies des éléments traditionnels ayant malgré tout subsisté.
C'est cette "maladie" de la liturgie occidentale que le mouvement liturgique entendait guérir. Le problème, c'est que dans le mouvement liturgique il y avait de tout: des intuitions excellentes (redécouverte de la notion de Peuple de Dieu, notion de mystère pascal, redécouverte de la symbolique liturgique etc), comme d'autres beaucoup moins bénéfiques, d'autres enfin carrément dangereuses (tentation de ne considérer la liturgie uniquement comme un outil purement pastoral, influence rationaliste, archéologisme radical etc).
Je dirais que le meilleur du mouvement liturgique se trouve dans SC; dans le missel de 1969, on a un mélange entre une mise en oeuvre de certaines bonnes intuitions du mouvement liturgique et l'influence pernicieuse d'idées potentiellement dangereuses. Le discours de Paul VI était excessif et révèle un optimisme bien naïf (largement partagé à l'époque) et un certain aveuglement de la part de ce Pontife, mais ce discours n'a aucune valeur magistérielle.
Enfin, ce qui a été effectivement mis en oeuvre sur le terrain consacre une rupture nette avec la Tradition et un oubli définitif des meilleurs intuitions du mouvement liturgique.
Il est donc absurde, comme le font beaucoup de tradis, de condamner l'oeuvre conciliaire dans son ensemble pour prôner un retour pur et simple à la situation pré-conciliaire, ce qui aurait pour conséquence de rétablir les causes qui ont produit les mêmes effets. Ce qu'il faut, c'est reprendre le mouvement liturgique dans ce qu'il a de meilleur et le faire parvenir cette fois à bon port...