Il faut arrêter avec ce “chiffre” (et le mot et le nombre!) «ils sont responsables, de 330 000 victimes» par pacem tuam da nobis, Domine 2021-11-16 16:57:02 |
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Je prends prétexte du message de Gaspard (ici) pour créer ici un nouveau fil et ce, en dépit des échanges déjà commencés dans le fil du message mentionné de Gaspard, mais avec l'aval de XA). La soupesée critique de ce chiffre de 330'000 victimes est un sujet en soi et l'examen de sa plausibilité, de sa vraisemblance est partie constitutive de la démarche de vérité que cette tragédie (pour les victimes en tout premier lieu et pour l'Église ) exige. J'ai écrit “tragédie”, parce qu'il n'est nullement dans mes intentions de la minimiser en quoi que ce soit et que le mot dit tout.
J'aimerais donc soulever deux problèmes, sans aucun esprit de polémique, je le répète, mais simplement parce qu'à mon sens, ils sont importants et même, pour ce qui est de le deuxième, capital.
Le premier problème est est de correction terminologique.
Gaspard affirme que
Les évêques l'ont reconnu eux-mêmes : ils sont responsables, de 330 000 victimes. Ils n'ont pas contesté le chiffre. Ils sont tout de même mieux placés que vous pour savoir si ce chiffre correspond à peu près à la réalité. Ils ne l'ont pas contesté.
[Et, soit dit en passant puisque ce n'est pas là le point qui fait question, il est vrai que les évêques ne l'ont pas contesté, mais, je crois, les évêques sont dans une situation institutionnelle et médiatique qui leur interdit toute discussion – ne parlons même pas de contestation… – de ce “chiffre” de 330'000 victimes. Quelle tempête, quel ouragan, quel typhon médiatique ne s'abattrait-il pas sur eux s'ils laissaient le moins du monde percevoir une réticence ou un doute à l'égard de ce “chiffre”! Ils se trouvent pieds et poings liés par le rapport Sauvé.
§0002 […] Chaque année, trimestre ou mois apporte son lot de révélations accablantes que les enquêtes les plus récentes viennent confirmer. Ainsi, selon l’étude réalisée par l’Inserm pour le compte de la CIASE et figurant en annexe, 14,5 % des femmes et 6,4 % des hommes de 18 ans et plus ont été sexuellement agressés pendant leur minorité[1], ce qui signifie que plus de 3 900 000 femmes et de 1 560 000 hommes, soit environ 5 500 000[2] personnes majeures vivant dans notre pays, ont subi des agressions sexuelles pendant leur minorité. On estime encore à 160 000 le nombre des mineurs qui, chaque année, subissent des violences sexuelles en France.
[1] Nathalie Bajos, Julie Ancian, Josselin Tricou, Axelle Valendru, Sociologie des violences sexuelles au sein de l’Église catholique en France (1950-2020) [Les italiques sont dans le texte.] Inserm-EHESS p. 427. Cette étude est annexée au présent rapport.
[2] Ces estimations résultent de l’extrapolation des données de l’enquête en population générale dont les principaux résultats figurent dans l’étude mentionnée dans la note 1.
§0066 Ces précautions méthodologiques étant prises, l’enquête de l’Inserm aboutit à une estimation du nombre de victimes mineures d’agressions sexuelles commises par des prêtres, diacres, religieux ou religieuses, qui s’établit à 216 000 personnes sur la période allant de 1950 à 2020, selon l’enquête en population générale menée auprès de 28 010 personnes âgées de 18 ans et plus, représentatives de la population française, selon la méthode des quotas.
§0563 Mesurer la prévalence des violences sexuelles commises sur des mineurs et des personnes vulnérables dans l’Église est un exercice particulièrement délicat, tant le silence des personnes victimes, de leur entourage et de l’Église, limite la connaissance des faits. Pour approcher cette réalité cachée, comme c’est le cas pour toutes les violences sexuelles, il faut consulter l’ensemble des sources archivistiques disponibles, effectuer des recherches quantitatives et, le cas échéant, en extrapoler leurs résultats les plus significatifs. C’est la conjonction de ces méthodes qui permet de parvenir à des résultats qui sont, selon le cas, des grandeurs mesurées, des extrapolations, des estimations, voire des hypothèses. En outre, si des enquêtes scientifiques ont été menées depuis le début des années 1990 sur les violences sexuelles sur mineurs en France, aucune d’entre elles ne permet d’identifier, en tant que telles, les violences commises par des membres de l’Église.
§0585 Mais cette enquête [il s'agit de “l’inventaire des archives et de l’appel à témoignages”] ne peut pas permettre de déterminer le nombre d’agresseurs. Celui-ci est très difficile à extrapoler à partir du nombre de victimes, pour deux raisons : d’une part, une grande partie des auteurs a fait plusieurs victimes – 44,6 % des personnes victimes ayant répondu à cette enquête indiquent qu’à leur connaissance, leur agresseur s’est attaqué à d’autres personnes. D’autre part, une part significative des victimes a subi les violences de plusieurs agresseurs : parmi les personnes victimes d’agressions sexuelles avant l’âge de 18 ans commises par un membre du clergé, si 69,8 % déclarent un unique agresseur, 10,5 % en déclarent deux et 19,7 % déclarent plus de deux personnes.
§0586 Pour parvenir à une estimation du nombre d’auteurs de violences sexuelles, l’équipe de recherche de l’EPHE (cf. annexe numérique no 28) est partie des résultats du questionnaire envoyé aux diocèses, ordres et congrégations, ainsi que des archives consultées, et des témoignages recueillis par la CIASE. Les réponses aux questionnaires identifient, depuis 1950, environ 1 500 agresseurs. D’après les explorations effectuées dans les archives des diocèses et des congrégations sélectionnés, le nombre d’auteurs identifiés dans les archives est de 1,3 à 1,5 fois plus élevé que celui résultant des réponses aux questionnaires, en raison du caractère rapide du recensement initial et de l’absence de détection, dans les archives, de certains indices difficilement identifiables à première lecture pour un œil non exercé au repérage de certaines mentions sibyllines ou allusives. En extrapolant à l’ensemble des diocèses et congrégations religieuses, on obtient un nombre compris entre 1 950 et 2 250 auteurs.
L'entreprise «systémique» n'est pas celle des prêtres. Sans défendre l'indéfendable car une victime est une victime de trop, un prêtre pédocriminel, plus que tout autre catégorie, est un prêtre de trop, mais il apparaît dans cette enquête qu'entre 2,6 % et 2,8 % des prêtres sont incriminés sur une période 70 ans (1950-2020). Disons 3 %. Ce qui signifie que 97 % des prêtres ne sont pas des pédocriminels.
Pourquoi l'Église de France n'arrive pas à exprimer cela aussi ? Ne serait-ce que pour rendre justice aux prêtres qui dans le fracas du raz de marée continuent dignement leur mission gratuite et donnée à vie aux services de tous.
Mais un autre point m'interroge sur le rapport Sauvé, au sens intellectuel. C'est une précaution car j'observe que le rapport Sauvé est devenu pour certain un livre sacré paralysant toute approche critique. Ma question porte sur le fameux chiffre de «330.000 » victimes ou «216.000 ».
Il ne s'agit en aucun cas de réviser ou de nier quoi que ce soit. Ce serait insupportable et faux : les victimes se chiffrent par milliers sans compter celles qui n'ont jamais osé parler.
Mais proportionner en effet n'est pas relativiser. Proportionner c'est délimiter la part exacte d'un problème très grave, inadmissible, pour mieux le repérer justement et l'éradiquer avec précision et efficacité, au service précisément des victimes.
Comment en est-on arrivé là ?
Là, c'est-à-dire à la fois l'estimation de 330'000 victimes et à la transformation de cette extrapolation en certitude, celle queLe rapport Sauvé aurait déterré une liste de plus de 300.000 victimes
Deux sources de comptabilisation de victimes ont été utilisées.
L'une comptable, nominale, avec les travaux sur les archives des diocèses, des tribunaux, de la presse, des appels à témoins (très précisément «6471» contacts qui ont mis à jour «2738 » cas de victimes) donc avec un résultat inférieur à une dizaine de mille. Jean-Marc Sauvé, lui-même, en février 2021, laissait passer dans l'Obs, la prévision de «10.000» victimes.
Ce qui correspond d'ailleurs à tous les rapports équivalents dans le monde, États-Unis, Irlande, Allemagne, Australie, Pays-Bas. Ils publient des chiffres de victimes de l'ordre d'une dizaine de mille.
Bref, gardons cet ordre de grandeur d'une dizaine de mille de victimes effectivement documentées.
Mais comment, en six mois, le nombre de victimes se serait multiplié par dix, voire par 30 ? Comment, avec «3000» prêtres agresseurs répertoriés par la Commission indépendante des abus sexuels dans l'Église (CIASE) ceux-ci auraient eu - en moyenne 72 victimes ?
Comment sur 70 ans, l'Église aurait pu cacher 3000 cas d'agressions annuelles. Soit 30 cas par diocèse et par an, dans le plus grand silence ? Je veux dire 216.000 victimes, divisées par 70 ans, puis divisés par 100 diocèses, ce qui donne 30 affaires par an pendant soixante-dix ans ? Un diocèse, c'est la taille d'un département français.
Un tel taux d'agressions, avec une telle récurrence et régularité, ne pouvait pas passer aussi longtemps inaperçu même si le rapport explique combien la chape psychologique du silence de la victime additionnée au poids de la chape de silence institutionnelle, pouvait tout bloquer.
Ce qui me laisse perplexe donc c'est la différence abyssale entre le nombre de victimes répertoriées et nationalement constatées dans d'autre pays comparables, une dizaine de mille, et le chiffre français, unique au monde et qui a fait mouche sur le plan international, des «216.000» voire «330.000».
Son ampleur a fait la force médiatique du rapport Sauvé qui aurait été un non-événement si le chiffre des 6471 appels effectivement reçus par la commission, avait été seulement donné. Ou si le nombre de cas réellement répertoriés et classifiés par la commission - «2738 cas » - après recoupements internes avait été le chiffre officiel.
Je ne questionne donc pas le chiffre des «330.000 » mais le statut de ce chiffre, sans aucun équivalent dans le monde et très loin de cas 2738 cas effectifs.
Comment ces centaines de mille ont été obtenues ?
Non par une méthode de notaire, ou d'historien, comptable des faits, des personnes, des noms, des dossiers. Cette méthode a été utilisée pour le premier volet de l'enquête. Pour le second volet, la commission a fait appel à un sondage déclaratif par mail auprès d'un échantillon de 28.010 personnes.
Ce qui a donné le résultat suivant : sur ces 28.010 personnes, 117 personnes ont déclaré avoir été agressées par un membre du clergé, 92 hommes, 25 femmes. Soit en pourcentage respectif de 0,69 % et de 0,17 %.
Comment est-on ensuite passé de 117 déclarants victimes à 216.000 victimes?
Tout simplement en multipliant, ce pourcentage de 0,69 % hommes et 0,17 % de femmes, avec le nombre actuel, au 1er janvier 2021, d'hommes et de femmes en France. Soit 24.469.124 hommes. Soit 26.993.808 femmes victimes. Soit un total de 216.000 victimes estimées sur les 70 dernières années.
C'est une extrapolation. Le rapport Sauvé le dit noir sur blanc : il s'agit d'une «estimation». L'étude la considère a minima car insistent les auteurs du rapport beaucoup des auteurs et des victimes des périodes les plus fortes sont morts aujourd'hui. Ils accordent toutefois un taux d'erreur de «50.000», en plus ou en moins.
Le problème, encore une fois, n'est pas le montant de cette «estimation» qui est une hypothèse scientifique mais le fait que cette «estimation» soit devenue une «réalité» pour beaucoup.
C'est cette estimation devenue réalité qui a fait mouche.
Mais sans relativiser quoique ce soit sur la gravité des faits et leur nombre massif, l'estimation statistique est-elle la réalité historique documentée ?
Mais sans relativiser quoique ce soit sur la gravité des faits et leur nombre massif, l'estimation statistique est-elle la réalité historique documentée ?
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