La crise rongeait l'Eglise de l'intérieur depuis au moins le XVIe siècle. La politique de tous les papes de l'Eglise post-tridentine, en particulier S. Pie V et S. Pie X a été de mener ce que j'appelle une politique du "corset": la sève du christianisme s'est desséchée, le corps ecclésial est déjà en phase de putréfaction, donc on l'enserre dans un corset juridico-disciplinaire (codification de la Messe, instauration de l'Index et de l'Inquisition romaine, etc) pour malgré tout le faire tenir debout... mais à aucun moment on ne traite le cœur du problème, qui est la perte de l'esprit traditionnel. La réforme conciliaire de Vatican II n'a fait qu'enlever le corset (c'est à dire cette approche rubricisante de la liturgie, et cet ensemble de règles souvent très contraignantes et pesantes qui régissaient la vie quotidienne des fidèles et du clergé) révélant ainsi au grand jour que les apparences étaient trompeuses et que la véritable spiritualité dans l'Eglise était déjà fortement anémiée. Sans son corset qui le maintenait artificiellement debout, le cadavre s'est effondré puis disloqué. C'est ce qui s'est passé dans les années 1960-1970. Une fois que vous avez compris ça, c'est toute l'histoire de l'Eglise dans la seconde moitié du XXe siècle qui s'éclaire.
Parmi le clergé des années 1950-1960, les vrais progressistes, les vrais idéologues sont certes influents mais ultra-minoritaires. La majorité du clergé n'est pas idéologisée (elle n'en a pas les capacités intellectuelles de toute façon), elle se contente de suivre quelques intellectuels gourous farcis d'idées à la mode, mais de manière très superficielle. Le vrai problème de ce clergé n'est pas d'ordre idéologique, il est d'ordre spirituel: dans les séminaires l'enseignement de la liturgie se limite à savoir restituer méticuleusement les pointilleuses rubriques de la messe de S. Pie V mais sans jamais en expliquer la signification théologique et mystique. Comme ce clergé ne comprend pas le fond de la liturgie qu'il célèbre pourtant docilement, celle-ci lui apparaît comme un ensemble de rites désuets et pesants et il n'a qu'une obsession: s'en débarrasser.
Une génération entière de clercs a vu, dans le Concile qui s'annonçait, la libération qui allait les affranchir des servitudes de l'Eglise d'autrefois et leur permettre de vivre un sacerdoce nouveau, débarrassé des exigences traditionnelles que ces clercs ne comprenaient plus (théologie traditionnelle du sacerdoce, célibat, ascèse, vie de prière, etc). Cette effervescence qui régnait dans les séminaires, les communautés religieuses et les groupes de jeunes pendant la durée du Concile est ce que l'on appelle à tort "l'esprit du Concile", c'est à dire ce concentré de toutes les aspirations, illusions et fantasmes qu'une génération entière de prêtres et de laics a projeté sur le Concile. Le véritable Concile, celui des textes, des Pères et de la redécouverte de la Tradition, n'intéressait personne et d'ailleurs bien rares sont les chrétiens qui en on vraiment lu les constitutions et les déclarations. La douche froide de la restauration wojtylienne (restauration de la dévotion mariale, sanction de nombreux théologiens et clercs hétérodoxes, condamnation du libéralisme moral, rappels doctrinaux multiples...), honnie par la génération 68, plongeait pourtant bien ses racines dans les enseignements du Concile: Sacrosanctum Concilium qui réaffirme la théologie traditionnelle et les principes fondamentaux de la Sainte Liturgie déjà enseignés par Pie XII dans Médiator Dei, Gravissimum educationis qui rappelle l'importance de la philosophie thomiste traditionnelle dans l'enseignement, Presbyterorum ordinis qui rappelle la théologie et la discipline traditionnels du sacerdoce, Lumen Gentium approfondissant l'ecclésiologie traditionnelle, etc.
Le véritable Concile tout entier repose sur un équilibre entre restauration de l'immémoriale Tradition, et ouverture limitée à certains aspects de la culture moderne, ce qui est certes une vraie rupture, mais non pas avec la grande Tradition catholique, mais plutôt avec une certaine attitude défensive et une certaine mentalité de "forteresse assiégée" qui s'était peu à peu emparée des esprits catholiques depuis la restauration tridentine, et bien plus encore à partir du XIXe siècle.