C’est à mon sens là ou les évêques se sont lourdement trompés et se trompent toujours : ils ont déduit de DH que le gouvernement idéal était celui de la France laïque et déchristianisée. Ils ont poussé par exemple l’Espagne dans cette voie là, ce qui est une erreur monumentale.
Effectivement, vous pouvez bien parler d’erreur monumentale pour l’Espagne, mais les évêques ont quelque excuse à faire valoir, il me semble, quand ils voient Benoît XVI lui-même présenter la constitution américaine comme un modèle sous le rapport de la liberté religieuse. Constitution rédigée, faut-il le rappeler, par des francs-maçons qui ne se cachaient nullement de l’être, à une époque où le pape Pie VI blâmait encore comme “tout à fait funeste et malsain” l’édit de Nantes exalté par les révolutionnaires de 1789...
En lisant votre exposé, je remarque que, comme
Dignitatis Humanæ d’ailleurs, vous semblez mettre sur le même pied toutes les religions du point de vue du droit civil, en supposant apparemment les pouvoirs publics radicalement incapables de faire aucune différence entre la vraie religion et les autres. Or, c’est justement l’une des opinions que contestaient les papes (Pie IX dans le
Syllabus, et Léon XIII dans
Immortale Dei, pour ne citer que deux des plus récents). Pour eux, d’une part seule la vérité a des droits, et d’autre part des pouvoirs publics dignes de ce nom sont normalement en mesure de distinguer la vraie religion, même quand ils sont dirigés par des gens qui n’ont pas encore reçu la grâce de la foi, ajoute Léon XIII, spécialement dans les pays qui ont connu comme les nôtres les bienfaits du christianisme. C’est en ce sens que ce pape, tout en reconnaissant l’absence de persécutions dont bénéficiait le catholicisme américain, se gardait explicitement de faire de la constitution de ce pays un modèle à imiter partout ailleurs.
Une autre remarque que j’ai déjà eu l’occasion de faire, c’est qu’en analysant
DH, il ne faut surtout pas raisonner seulement en fonction de l’état du monde actuel, puisque ce que cette déclaration entend décrire, c’est précisément un
idéal valable pour tous les pays et toutes les époques.
V.
N.B. Je suis occupé à lire, comme vous m’y aviez engagé, le jugement porté par le chanoine
Bergier sur le pape Honorius, et je ne vois pas qu’il aboutit à une conclusion fondamentalement différente de celle de Dom
Guéranger déjà citée. L’un comme l’autre reconnaissent qu’Honorius méritait d’être condamné, tout en n’étant pas personnellement tombé dans l’hérésie. Je dirais même que Bergier, en gallican digne de ce nom, va plus loin que Dom Guéranger qui, sans blâmer le concile, s’en tenait à la condamnation plus nuancée portée par le successeur d’Honorius :
Pourquoi donc, répliquera-t-on, le sixième concile a-t-il condamné les lettres d’Honorius comme contraires aux dogmes des apôtres, des conciles et des Pères, et comme conformes aux fausses doctrines des hérétiques ? Pourquoi a-t-il décidé que ce pape avait suivi en toutes choses le sentiment de Sergius, et avait confirmé des dogmes impies ? ce sont ses termes. Parce qu’il est en effet contraire aux dogmes des apôtres, des conciles et des Pères, de ne pas professer la foi telle qu’elle est, et parce qu’Honorius ayant tenu dans ses lettres le même langage que Sergius, le concile a dû juger qu’il pensait de même, quoique peut être il n’en fût rien. (Bergier, Dictionnaire de théologie, t. V, p. 404.)