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.... Non c'est l'inverse
par Praecantor 2014-01-14 14:45:44
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Un extrait de sa thèse ci dessous :

Le Messie et Son Prophète, tome 1 1.2.2 En Occident, du 17e siècle à nos jours
C’est en Occident, spécialement au 18e siècle, puis de nouveau au 20e, que le lieu commun des "moines esséniens" va prendre sa forme moderne (le christianisme est-il un post-essénisme ?). Siegfried WAGNER fait remonter l’origine de ces débats qui ont agité les pays de langue française ou allemande, aux suites de la diffusion des livres du Carme DANIEL A VIRGINE MARIA dans les années 1680 .
En réalité, il y avait déjà près d’un siècle que des débats faisaient rage en Italie et en Espagne autour de ce lieu commun, pour une raison qui peut échapper au regard d’un historien trop profane. Dans la foulée de la réforme de l’Ordre du Carmel (féminin et masculin) en Espagne, certains Pères Carmes avaient voulu démontrer à tout prix la continuité qui existerait entre le prophète Elie égorgeant les prophètes de Baal sur le mont Carmel et les premiers moines chrétiens occidentaux qui s’y installèrent au 12e siècle (et qui formèrent bientôt l’ordre du Carmel). Rien n’indique que les grottes du mont aient jamais été habitées par des moines avant eux, et deux millénaires séparent Elie des fils de la grande réforme thérésienne, lesquels ne s’embarrassent pas de tels détails. Le chaînon manquant était tout trouvé : les "moines esséniens".

“Les auteurs carmes de jadis, écrit Bruno de Jésus-Marie qui est Carme lui-même, ont considéré les Esséniens comme les leurs ; et non seulement au sens large d’un monachisme ayant Elie pour modèle [mais] : Ergo Esseni simpliciter et absolute fuerunt alumni religionis carmelitanae (Philippe de la Trinité, Theologia carmelitana, Rome, 1665, p.142)” .



Dès 1596, l’historien Baronius, très proche de la Curie romaine, s’était élevé contre ces prétentions connues sous le nom de succession élianique ; et les Bollandistes (jésuites) prirent le relais. Mais les Carmes réussirent à impliquer l’inquisiteur d’Espagne à leur côté : un premier décret fut pris en 1639, approuvant quatre propositions qui affirmaient que, sous l’Ancienne Loi, existait un véritable “Monachat et ordre religieux” ; un second décret confirma le premier en 1673 .
Parvenu dans le nord de l’Europe et confronté à la philosophie des Lumières, le débat prit bientôt une autre tournure. Le pas est vite franchi en effet de la question : le monachisme est-il d’origine chrétienne ? , à la question : le christianisme a-t-il vraiment une origine propre ?. De la sorte, le chemin était pavé pour VOLTAIRE qui reprit l’idée de la “confrérie des Esséniens” dans le but de montrer l’absence d’originalité du christianisme : Jésus, explique-t-il, avait été un essénien ! Après la succession des révolutions, la polémique reprit bientôt en France en milieu universitaire, dans la ligne voltairienne qu’Ernest RENAN (1823-1892) a vulgarisée par la fameuse formule : “Le christianisme est un essénisme qui a réussi”. Malgré la découverte de nombreux manuscrits au cours du 19e et surtout du 20e siècle (en particulier ceux de Qumrân), le débat n’a curieusement plus guère évolué jusqu’à nos jours, ou alors tout récemment, depuis qu’on a commencé à mettre en question radicalement le concept des "moines esséniens".
Des fissures apparaissent aujourd’hui parmi les défenseurs érudits mais étroits de l’idée des "moines esséniens". Jean-Baptiste HUMBERT tirait ainsi les conclusions d’un récent colloque multidisciplinaire organisé en novembre 2002 et réunissant des spécialistes venant d’horizons divers – pour ne pas dire divergents –:

“La thèse de de Vaux – un complexe essénien autarcique qui aurait géré les grottes et établi son propre cimetière – est attaquée de plusieurs côtés à la fois. La réunion a eu le mérite de souligner la coexistence de deux tendances : les "Anciens" attachés à la vulgate de de Vaux ou à d’autres théories… et les "Nouveaux" qui veulent avancer…” .


Pour sa part, André PAUL a été amené à écrire que le site qumrânien suggère “l’existence de plusieurs communautés, successives et mêmes simultanées” – ce qui tend à démentir la présence d’une même "communauté de moines esséniens" à Qumrân du premier siècle avant notre ère à 68 de celle-ci, mais on n’en saura pas plus . Il reste cependant bien voltairien dans les lignes qui suivent :

“On peut penser que... Jésus ainsi que Jean séjournèrent à Qumrân ou dans l’une des fondations esséniennes proches... ou simplement... ont-ils fréquenté les esséniens... Cette seconde hypothèse... suffit à expliquer que l’on retrouve, parfois presque littéralement, dans telle ou telle déclaration de Jésus, des sources formellement esséniennes”.


En quelque sorte, explique-t-il, “l’expérience essénienne de Jésus” est à la base du christianisme.

Les découvertes de Qumrân auraient pu être l’occasion d’un renouveau de l’exégèse des textes de Pline, Philon et Josèphe. Il n’en fut rien. En fait, le débat fut fermé avant même d’être ouvert. Dès 1950, alors même que les textes de Qumrân commençaient à peine à être déchiffrés, André DUPONT-SOMMER proclama l’identité "essénienne" du site qumrânien – il fut largement relayé par la presse.
Or, non seulement le débat fut fermé, mais il était écrit d’avance. Il est en effet surprenant de voir énoncée vingt ans plus tôt l’idée de l’existence d’un couvent de "moines esséniens" près de la mer Morte, par un autre Français, le romancier Maurice MAGRE. Dans un de ses romans, il faisait dire à un personnage initié à une société secrète ésotérique :

“Au cours de mon voyage en Orient, je me suis rendu au bord de la mer Morte pour contempler l’emplacement où avaient vécu autrefois les Esséniens, ces hommes sages et parfaits, au milieu desquels Jésus fut instruit... Eh bien ! pas très loin de l’endroit où Jésus a été baptisé par Jean-Baptiste, il y a un monastère, un monastère sans chapelle et dont le seuil n’est dominé par aucune croix”.


Plus haut dans le texte, un autre personnage tout aussi ésotérique était mis en scène :

“Il avait, racontait-il, recherché en Palestine et en Syrie les traces des anciens Esséniens. Il avait pour cela séjourné dans différents monastères, notamment dans celui de Baruth, bâti sur le reste d’une ancienne forteresse maritime des Templiers. Là, il avait fouillé dans une bibliothèque ensevelie sous la poussière et négligée par des moines ignorants. Il avait découvert des manuscrits oubliés, pris connaissance de secrets perdus” .


Certes, commente Jean HUBAUX,

“il ne faut pas supposer que, dès 1929, MAGRE avait prédit la découverte des manuscrits de la mer Morte, mais il faut constater que, dès 1929, mektoub, il était écrit que le jour où des manuscrits antiques seraient trouvés dans le voisinage de la mer Morte, ces documents ne pourraient être qu’esséniens” .


On devrait même ajouter que les ruines, qualifiées de monastère et situées au bord de la mer Morte, étaient quasiment déjà déclarées "esséniennes" : le site de Qumrân était connu en France en effet depuis le milieu du 19e siècle . Tout était donc écrit d’avance.
A la suite de milliers d’articles ou de livres érudits encensés par la presse, ce qui aurait dû rester une hypothèse de travail s’est transformé quasiment en dogme. On est même allé jusqu’à "reconstituer" en grandeur nature le "scriptorium essénien" (dans l’actuel musée archéologique de Palestine) – si l’on peut dire car le terme de "reconstituer" est impropre à propos d’une œuvre d’imagination basée sur ce qu’on sait des salles de copistes monastiques médiévales. Par effet d’entraînement, ce scriptorium de musée a servi de référence à nombre d’auteurs et d’illustrateurs de la vie supposée des moines du monastère de Qumrân (cf. 1.3.1.1) ; qui douterait de l’existence des copistes devant un tel luxe de détails hauts en couleurs ?

Ainsi, curieusement, le lieu commun moderne des "moines esséniens" résulte d’une alliance hétéroclite entre des Carmes imbus de leur importance, l’Inquisition espagnole, le franc-maçon Voltaire, le Roi Frédéric II (cf. note 140) et pour finir, un érudit qui obtint une chaire à l’Ecole Pratique des Hautes Etudes. Or puisqu’il s’avère que l’explication supposée de la découverte existait des années – ou plutôt des siècles – avant la découverte elle-même, celui qui s’empressa de la proclamer sans vérification ne méritait peut-être pas des félicitations. Un de ses anciens élèves, Ernest-Marie LAPERROUSAZ, lui-même ancien fouilleur de Qumrân aux côtés du Père de Vaux, a résumé ainsi la situation :

“Dupont-Sommer, un ancien prêtre, était tenté de minorer la valeur du christianisme en faisant de lui une pâle imitation du mouvement essénien”.


Une telle manière de voir était facilitée par le contexte du moralisme occidental traditionnel, qui avait eu tendance à faire de Jésus un modèle intemporel plus qu’un fils de l’histoire et de la nation juives ; or, explique-t-il, il fallait revenir à cette évidence première :

“Devant les ressemblances entre ces textes et le Nouveau Testament, on oubliait juste que Jésus était juif et que les points communs entre l’Evangile et Qumrân n’étaient pas en soi surprenants” .



Cette conclusion de bon sens est encore plus éclairante lorsqu’on perçoit à quel point l’arbre constitué par l’idée d’une "secte essénienne" a pu cacher la forêt des réalités associatives juives dans l’Antiquité, lesquelles n’ont évidemment disparu ni en 68, ni en quelque autre année.
A ce stade, l’ensemble des "explications" relatives à Qumrân doit être reconsidéré. Il va falloir regarder ce que furent réellement le site et les découvertes de Qumrân – ruines, grottes, textes et cimetière –, et d’abord se demander à quels événements historiques anciens et fondateurs un certain nombre de ces textes font allusion. Car une "secte" – au sens d’un groupe assez restreint, fermé et revendiquant l’exclusivité de la vraie religion –, a réellement existé, mais dans un lointain passé ; c’est la confusion des époques, induite par les ajouts au texte de Josèphe, qui a fait de cet arbre un écran empêchant de voir la forêt qui a réellement découlé de cette secte.

     

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 Les Esséniens seraient en fait les Judéo-Chrétiens par Aétilius  (2014-01-14 12:07:05)
      Quelques extraits du livre, pour mieux illustrer... par Aétilius  (2014-01-14 12:09:29)
          Que penser d'Etienne Couvert... par Aétilius  (2014-01-14 12:13:23)
              Sa thèse a été en grande partie reprise par Vianney  (2014-01-14 12:27:13)
                  .... Non c'est l'inverse par Praecantor  (2014-01-14 14:45:44)
              A mon humble avis par Jean Ferrand  (2014-01-14 12:59:21)
                  Cher Jean Ferrand par Aétilius  (2014-01-14 17:46:44)
                      Mais par Jean Ferrand  (2014-01-14 20:03:15)
              Couvert a lui-même résumé sa pensée en une phrase par Vincent F  (2014-01-14 14:19:43)
                  En même temps par Vincent F  (2014-01-14 14:22:37)
                      D'accord avec Jean Ferrand ! par Jean-Paul PARFU  (2014-01-14 14:42:57)
                          Merci cher Parfu par Aétilius  (2014-01-14 17:48:42)
                      lisez plutôt Gallez par Mingdi  (2014-01-14 14:46:11)
                          Mais j'ai lu Gallez, cher Mingdi par Aétilius  (2014-01-14 17:54:21)
                              Judas Maccabée par Mingdi  (2014-01-14 20:54:17)
                                  Merci Mingdi du conseil par Aétilius  (2014-01-14 21:27:42)
                  Sernine par Meneau  (2014-01-14 16:38:01)
                      [réponse] par Yves Daoudal  (2014-01-14 18:14:31)
                          Merci, cher Yves par Aétilius  (2014-01-14 18:29:46)
                              [réponse] par Yves Daoudal  (2014-01-14 18:43:35)
                                  Croyez-vous? par Ritter  (2014-01-14 18:45:26)
                                  A la réflexion, l'équation esséniens-1ers judéo-chrétiens n'est peut-être  [...] par Aétilius  (2014-01-14 19:11:47)
                  La paille et le sycomore par Meneau  (2014-01-14 20:08:56)
                      Attention Meneau par Vincent F  (2014-01-14 22:59:38)
                          Quatrième de couverture par Meneau  (2014-01-14 23:59:25)
                              Comme vous dites par Vincent F  (2014-01-15 09:23:35)
                                  il ne faut pas exagérer Vincent F. par Jean-Paul PARFU  (2014-01-15 09:32:42)
                                      Je ne vous dis pas par Vincent F  (2014-01-15 10:54:02)
                                  En l’occurrence... par Vianney  (2014-01-15 10:19:31)
                                      Pour être précis par Vincent F  (2014-01-15 10:52:50)
                                          Mais précis vous ne l’êtes pas par Vianney  (2014-01-15 12:51:55)
                                              Que vous faut-il de plus ? par Vincent F  (2014-01-15 13:46:46)
                                                  Je n’ai pas prétendu non plus... par Vianney  (2014-01-15 14:15:55)
                                                      Pour la publicité par Vincent F  (2014-01-15 15:21:54)
                          D'ailleurs par Meneau  (2014-01-15 00:18:02)
              Le principal problème d'Etienne Couvert par Pétrarque  (2014-01-14 19:35:36)
      Quid des visions d'Anne-Catherine Emmerich ? par zejack  (2014-01-14 21:15:03)
          Ces révélations ont été biaisées par son secrétaire par Michel  (2014-01-14 21:26:59)
              Ce "certain Brentano" par Lycobates  (2014-01-14 22:34:04)


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