Cher Monsieur d’André,
Vous contestez que l’hérésie soit, depuis la constitution Vacante sede apostolica du pape saint Pie X de 1904, un empêchement à la validité d’une élection pontificale. Vous soutenez qu’entre 1554 et 1904 une loi positive ecclésiastique créait un tel empêchement, mais que depuis un siècle il n’en est plus rien : si les cardinaux élisent un hérétique, l’Église catholique aura un hérétique comme chef visible, le Christ aura son pire ennemi comme vicaire, et on n’y peut rien parce que le bon Dieu n’a pas donné à son Église une constitution qui exclue cette éventualité : aucune loi divine, dites-vous, n’empêche le pape d’être hérétique.
Je vais vous répondre par un petit florilège de textes, glanés dans des livres sérieux et non pas dans des revues tradis à deux sous. Les premiers 13 sont tous postérieurs à 1904 et tous affirment nettement l’existence de l’empêchement dont vous affirmez l’abrogation. Ceux qui les suivent montrent que cet empêchement est en effet de droit divin et une partie intégrante de la constitution de l’Église.
Je mentionne en passant que Vacante sede apostolica concerne les modalités de l’élection d’un pape, et non les conditions de droit divin concernant l’éligibilité. Sinon votre argument du silence vous oblige à croire que saint Pie X autorisait l’élection des femmes, puisque Vacante sede apostolica ne précise nullement leur exclusion.
L’empêchement de l’hérésie
Billot, cardinal Louis
« Dans l’hypothèse du pape qui deviendrait notoirement hérétique, il faut avouer sans hésitation qu’il perdrait par ce fait même le pouvoir pontifical puisqu’il serait transféré par sa rompre volonté en dehors de l’Église, devenant un infidèle… » (De Ecclesia, Q. XIV, thèse xxix, p. 609, édition de 1921)
L’Ami du Clergé
« Au cas où le pape deviendrait personnellement hérétique, il cesserait ipso facto d’être membre de l’Église : n’étant plus membre il perdrait a fortiori la qualité de chef. D’où les théologiens concluent que si un pape était « déposé » du chef d’hérésie, en réalité il ne serait ni déposé ni jugé ; on le constaterait simplement déchu par sa propre volonté, pour s’être transféré lui-même hors du corps de l’Église. » (Vol. 54, p. 422-3) (1937)
Wernz, F-X et Vidal, P
« Le pouvoir du Pontife Romain cesse… (n. 453) … en conséquence de l’hérésie notoire et ouvertement divulgué. Le Pontife Romain, dût-il y tomber, se trouve par ce fait même privé de son pouvoir de juridiction même avant toute sentence déclaratoire de l’Église.
(…)
« En effet un pape publiquement hérétique, étant donné qu’il doit être évité par le commandement de Jésus-Christ et de l’Apôtre ainsi qu’à cause du danger à l’Église, doit être privé de son pouvoir comme presque tous l’admettent. Mais il ne peut en être privé par une simple sentence déclaratoire … D’où il faut affirmer absolument qu’un Pontife Romain hérétique se déposséderait de son pouvoir. » (Jus Canonicum ad Codicis Normam Exactum, tom. II, Titulus vii, n. 453) (1928)
Naz, Raoul
« Résumons… l’explication que les meilleurs théologiens et canonistes ont donnée à cette difficulté (Bellarmin, De Romano Pontifice, l. II, c.30; Bouix, De papa, t. II, Paris, 1869, p. 653; Wernz-Vidal, Jus Decretalium, l. VI, Jus poenale ecclesiae catholicae, Prati, 1913, p. 129). Il ne peut être question de jugement et de déposition d’un pape dans le sens propre et strict des mots. Le vicaire de Jésus-Christ n’est soumis à aucune juridiction humaine. Son juge direct et immédiat est Dieu seul. Si donc d’anciens textes conciliaires ou doctrinaux semblent admettre que le pape puisse être déposé, ils sont sujets à distinction et rectification. Dans l’hypothèse, invraisemblable d’ailleurs, où le pape tomberait dans l’hérésie publique et formelle, il ne serait pas privé de sa charge par un jugement des hommes, mais par son propre fait, puisque l’adhésion formelle l’exclurait du sein de l’Église. » (R.
(…)
« Cet argument se fonde sur ce que l'hérétique manifeste n'est d'aucune manière membre de l'Eglise, c'est-à-dire, ni spirituellement, ni corporellement, ce qui signifie qu'il n'y est pas membre ni par union interne, ni par union externe. »
Dict. de Droit Canonique, t. IV, col. 1159). (1935)
Conte a Coronata, Matthaeus
« III. Ce qui est nécessaire de droit divin pour cette nomination.
(…)
« Il est exigé pour la validité que l’élu soit membre de l’Église. C’est pourquoi les hérétiques et les apostats (au moins les publics) sont exclus.
« (…)
« Si le Pontife Romain professait l’hérésie, il perdrait son autorité avant toute sentence … » Institutiones Iuris Canonici, I, 312, 316. (1950)
Iragui, Serapius
« Les théologiens accordant communément que si le Pontife Romain tombait dans l’hérésie manifeste, il ne serait plus membre de l’Église et pour cette raison ne pourrait pas non plus être appelé son chef visible. » (Manuale Theologiæ Dogmaticæ, n. 371) (1959)
Wilhelm , J.
“The pope himself, if notoriously guilty of heresy, would cease to be pope because he would cease to be a member of the Church.” (Catholic Encyclopaedia, Vol. 7, p. 261) (1913)
Badii, Caesar
« La loi actuellement en vigueur concernant l’élection des Pontifes Romains se réduit aux points suivants :
« Exclus comme incapables d’être validement élus sont les suivants :
(…) 10. Les femmes, les enfants n’ayant pas atteint l’âge de raison, les atteints d’aliénation mentales, les non-baptisés, les hérétiques, les schismatiques…
« Cessation du pouvoir pontifical. Ce pouvoir cesse : (d) par l’hérésie notoire et ouvertement divulguée. Un pape publiquement hérétique ne serait plus membre de l’Église ; c’est pourquoi il ne pourrait plus en être le chef. » (Institutiones Iuris Canonici, 160, 165) (1921)
Prümmer, Dominique
« Le pouvoir du Pontife Romain est perdu … (c) par l’aliénation perpétuelle ou par l’hérésie formelle, et ceci au moins probablement… Les auteurs enseignent communément qu’un pape perd son pouvoir par l’hérésie certain et notoire… » (Manuale Iuris Canonci, n. 95) (1927)
Beste, Udalricus
« Un grand nombre de canonistes enseignent qu’en dehors de la mort et de l’abdication, la dignité pontificale peut aussi être perdue par l’aliénation mentale certaine, ce qui équivaut légalement à la mort, et par l’hérésie manifeste et notoire. Dans ce dernier cas un pape se trouverait par le fait même déchu de son pouvoir, et ceci sans l’émission de quelque sentence que ce soit… La raison en est qu’en tombant dans l’hérésie le Pape cesse d’être membre de l’Église. Celui qui n’est pas membre d’une société ne peut évidemment pas en être le chef. » (Introductio in Codicem, Canon 221, 3e éd.) (1946)
Vermeersch, A. et Creusen, I.
« Le pouvoir du Pontife Romain cesse suite à la mort, le renoncement libre (ce qui est valide sans besoin d’acceptation, c. 221), l’aliénation mentale certaine et indubitablement perpétuelle, et l’hérésie notoire »
« Au moins selon la doctrine la plus commune le Pontife Romain peut, en tant que docteur privé, tomber dans l’hérésie manifeste. Alors, sans sentence déclaratoire aucune … il serait ipso facto déchu d’un pouvoir que celui qui n’est plus membre de l’Église ne saurait posséder. » (Epitome Iuris Canonici, n. 340.) (1949)
Regatillo, Eduardus F.
« Le Pontife Romain perd son office … (4) par l’hérésie publique notoire. (…) Le Pape perd son office ipso facto suite à l’hérésie publique. C’est là la doctrine la plus commune, car il ne serait pas membre de l’Église et bien moins pourrait-il en être le chef. » (Institutiones Iuris Canonici. 5e éd., I, n. 396.) (1956)
Lefebvre, Mgr. Marcel
« L'hérésie, le schisme, l'excommunication ipso facto, l'invalidité de l'élection sont des causes qui éventuellement peuvent faire qu'un pape ne l'ait jamais été ou ne le soit plus. Dans ce cas, évidemment très exceptionnel, l'Église se trouverait dans une situation semblable à celle qu'elle connaît après le décès d'un souverain pontife. » (Interview avec Le Figaro, 4 août 1976)
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Léon XIII, Pape
« Il serait absurde de prétendre qu’un homme exclu de l’Église a l’autorité dans l’Église ». (Satis Cognitum, § 75) (1896)
Innocent III, Pape
« Le Pontife peut être jugé par les hommes, ou plutôt son jugement déjà fait peut-être manifesté par eux, s’il s’évanouit dans l’hérésie, car celui qui ne croit pas est déjà jugé. » (Serm. iv, In consecratione pontificis)
Decretum Gratiani (Droit canonique du moyen âge, édité à l’ordre du pape Grégoire XIII)
« Toutefois nul mortel ne présume lui [au Pape] reprocher ses fautes, puisque celui qui doit juger de tous ne doit lui-même être jugé par personne, à moins qu’il ne soit repris pour avoir erré dans la foi. »
(Canon « Si papa », distinctio XL, canon vi)
Bellarmin, Saint Robert, docteur de l’Église
« Ce principe est des plus certains. Le non-chrétien ne peut, en aucune manière, être Pape, tel que Cajetan l'admet lui-même (lib. c. 26). La raison en est qu'un individu ne peut être la tête de ce qu'il n'est pas membre; alors celui qui n'est pas chrétien n'est pas membre de l'Église, et un hérétique manifeste n'est pas un chrétien, tel que clairement enseigné par Saint Cyprien (lib. 4, epist. 2), Saint Athanase (Scr. 2 cont. Arian.) Saint Augustin (lib. de great. Christ. cap. 20), Saint Jérôme (contra Lucifer) et autres; conséquemment, l'hérétique manifeste ne peut être Pape. » (de Romano Pontifice, lib. II, cap. xxx)
Liguori, Saint Alphonse de, docteur de l’Église
"Il est hors de doute que si un pape était hérétique déclaré, comme le serait celui qui définirait publiquement une doctrine opposée à la loi divine, il pourrait, non pas être déposé par un concile, mais être déclaré déchu du pontificat en sa qualité d'hérétique." (Les vérités de la foi, œuvres complètes t. IX, p. 262) (1769)