Bonsoir et merci, Aigle,
Vos "deux petites questions assez impertinentes" sont en fait deux "petites" questions extrêmement pertinentes ; je vais essayer d'y répondre le moins mal possible.
1. Je commence par le plus facile : il est connu que certains de ces théologiens ont été menacés ou recadrés, par leur ordre et / ou par le Saint Siège, et condamnés ou maintenus dans la discrétion ou dans le silence, entre 1950 et 1960.
A partir du moment où ils ont commencé à être réhabilités, relégitimés, par, ou sous, Jean XXIII, en amont immédiat du début du Concile, ces mêmes théologiens ont pu avoir la tentation de passer
- d'une douce revanche, contre la vision antérieure, selon eux, dépassée, ou en tout cas inadaptée, de la théologie,
- à une dure vengeance, contre les hommes d'Eglise qui avaient absolutisé et officialisé cette vision, contre la leur.
Au moins une réaction, méchante ou mesquine, de Karl RAHNER, au cours de l'une des deux premières sessions du Concile, contre l'un de ceux qu'il appelait "les bonzes" du Vatican, semble indiquer qu'au moins un de ces théologiens n'a pas pu, pas su, ou pas voulu, résister totalement à la tentation de se réjouir, d'une manière quelque peu méprisante, de la défaite, doctrinale ET personnelle, en l'occurrence, du Cardinal OTTAVIANI.
2. Je réponds à présent à votre première question, qui est bien plus difficile :
- d'abord, il ne faut pas voir dans toute cette affaire un simple conflit entre générations de théologiens qui se limiterait à une simple querelle entre des Anciens et des Modernes qui diraient, les uns et les autres, exactement la même chose, sur le fond, mais qui ne le diraient que de deux manières totalement différentes, dans la forme ;
- ensuite, je pense ceci
a) une insistance excessive accordée à la "capabilité" de tout homme en direction de Dieu,
b) un effacement excessif imposé à la "faillibilité" de tout homme à l'intérieur du monde,
constituent la marque de fabrique de toute une anthropologie chrétienne qui s'est bâtie dans le sillage de la nouvelle théologie.
Cette anthropologie chrétienne a certainement eu une influence non négligeable, probablement plus vécue que pensée, dans le rapport des catholiques au Credo, au Notre Père, aux commandements et aux sacrements, mais aussi et surtout dans la regard des catholiques sur les chrétiens non catholiques, les croyants non chrétiens, et les non croyants.
3. Lisez ou relisez, par exemple, "Y a-t-il une vérité ?" de Jean DAUJAT ; il s'agit d'un ouvrage paru aux éditions TEQUI, dans lequel il explique bien, entre autres choses, page 54, dans l'édition de 1974, ce qui suit : "Ceci explique que les philosophies sensualistes qui réduisent toute connaissance à la connaissance sensible soient souvent amenées au phénoménisme qui, n'admettant que ce qui est perçu par la sensibilité, nie la substance" ; et il précise en bas de page : "on comprendra (...) qu'une telle philosophie (le phénoménisme) est strictement incompatible avec la Foi catholique dans l'Eucharistie."
Si l'on considère que certains théologiens contemporains,
- ont été ou se sont voulus des continuateurs, indirectement ou infidèlement, de tel ou tel illustre théologien néo-moderne,
ET
- ont plus ou moins adhéré au mode de raisonnement phénoménologique,
et si l'on rapporte cette adhésion à la citation qui précède, on comprend quelque peu dans quelle mesure cette adhésion est susceptible d'avoir modifié en eux
a) leur manière de comprendre et la nature de leur compréhension intellectuelle personnelle de l'Eucharistie,
b) leur manière de faire comprendre, dans l'Eglise, et la nature de la compréhension intellectuelle, dans l'Eglise, de la transsubstantiation.
Ce qui précède se veut un exemple, peut-être pas le mieux choisi, mais c'est celui qui m'est venu à l'esprit, au contact de votre message.
Je vous remercie encore une fois pour toutes vos questions, auxquelles j'essaie de répondre le mieux possible, et je vous souhaite une bonne nuit.
Scrutator.