Vous résumez très bien la propagande des 'nouveaux théologiens' contre la théologie néoscholastique, dite 'théologie ancienne' . Sur le plan de la réalité historique et intellectuelle, par contre, on peut distinguer deux débats qui ont eu lieu au sujet de cette théologie.
1.) Un débat qui prit naissance de l'approfondissement de la connaissance historique de la Moyen Age, approfondissement qui elle-même fut en grande partie le résultat de la promotion de la pensée de S. Thomas par Léon XIII. Par le moyen de cette approfondissement on découvra que les scholastiques des 16e-17e siècles – tels que Suarez, de Lugo, Molina, Banez etc, à lesquels on donnait le nom de scholastiques 'baroques' – avaient des idées profondément marqués par le scotisme et le nominalisme, idées en profond désaccord avec celles de S. Thomas lui-même. On trouvait aussi que les synthèses souvent incohérentes des scholastiques baroques étaient inférieures a la pensée de S. Thomas lui-même, pensée qu'on essayait de redécouvrir. Cette retour à S. Thomas est l'oeuvre surtout d'Etienne Gilson. Elle visait la théologie néoscholatique en tant que ce dernier s'inspirait des scholastiques baroques - ce qui fut le cas avec Maritain, dont le maître était Jean de S. Thomas. Le père Garrigou-Lagrange était aussi visé, mais moins nettement, puisque sa pensée fut mieux ancrée dans la philosophie d'Aristote. Il donna le nom de 'paléothomistes' aux partisans de l' école de Gilson. Le paléothomisme, quoique né dans la philosophie, a des répercussions nécessaires dans la théologie, et surtout dans la morale; ces derniers se voient dans l'oeuvre de M.-M. Labourdette O.P., et aussi dans Michel Villey.
2). Un débat entre le néomodernisme et la théologie néoscholastique, débat qui donna naissance à la propagande néomoderniste qui vous résumez si habilement. Ce débat tourne surtout sur les questions de la connaissance et de la vérité. Sur la connaissance; on essaie de soutenir, plus ou moins, que Kant avait raison en basant la connaissance de la réalité sur les opérations intellectuelles du sujet. On se réclame de S. Thomas; c'est le 'thomisme transcendentale' de Maréchal et Rahner. En ceci on contredit un des thèses centrales du paléothomisme de Gilson, qui soutient qu'une des grandes mérites de S. Thomas fut de ne pas baser la connaissance sur les points de départ cartésiens, lockiens, ou kantiens, mais sur une rencontre réelle et directe avec les choses extra-mentales. Gilson avait certainement raison ici sur la question historique de la nature de la pensée de S. Thomas; si on suit la pensée tardive de Wittgenstein, au moins dans son contenu négatif et anti-cartésien, il avait raison aussi sur la question de la connaissance humaine en soi. Sur la vérité; c'est le fameux débat entre Garrigou-Lagrange et Blondel sur la vérité comme 'adaequatio realis mentis et vitae' – selon Blondel – et la vérité comme 'adaequatio rei et intellectus' selon Garrigou-Lagrange (et S. Thomas, Aristote, et toute la tradition catholique). Pour les néomodernistes sinon pour Blondel, leur conception de la vérité du dogme catholicque entraînait que la vérité demande l'adaptation du dogme aux exigences de la situation historique dans laquelle l'Eglise se trouve. Cette relativisme historique est tout à fait different de l'effort des paléothomistes de retrouver le vrai sens de la pensée de S. Thomas – sens qui aurait selon eux une vérité immuable, et donc une valeur immuable.
Chenu, après un bref temps dans lequel il fut plus ou moins paléothomiste, était le penseur le plus influent des 'nouvels théologiens' néomodernistes. Bouillard, Congar, et autres l'ont suivi dans ce néomodernisme. Les nouvels théologiens ont fait appel aux attaques bien fondées de Gilson sur les néoscholastiques pour discrediter ces derniers – et pour faire triompher le néomodernisme dans l'Eglise. Avec ce triomphe, l'étude sérieuse de la tradition catholique est presque disparu, et le paléothomisme, qui demande une telle étude, est presque disparu aussi, au moins dans le monde théologique. Seuls restent quelques philosophes qui le pratiquent. La théologie néoscholatique, plus bien enracinée dans les institutions catholiques, était plus difficile à extirper, et elle existe encore ci et là.