Je pense que le problème avec le célibat sacerdotal tel qu'il est de règle dans l'Eglise d'Occident est qu'il rend la figure du prêtre ambiguë:
- d'un côté, sur un point seulement (la question du célibat) on lui impose une exigence qui relève de la perfection évangélique;
- mais de l'autre côté, dans tous les autres domaines, aucune exigence stricte n'est imposée: pas de voeu de pauvreté, ni d'obéissance. C'est ainsi par exemple qu'un prêtre peut être riche, posséder des appartements luxueux, des villas, de riches biens matériels etc. sans manquer formellement à ses devoirs. C'est fréquent aujourd'hui dans de nombreux pays (Italie, Allemagne, Etats-Unis...) où l'Eglise est très "installée". En France ce problème a été plus ou moins réglé paradoxalement par la Révolution, puis par la loi de Séparation... de sorte que le clergé vit plus modestement.
De ce fait, la règle du célibat a pour conséquence qu'en Occident on ne sait pas trop si le prêtre est un religieux (donc appelé à la perfection évangélique), ou pas. Par ailleurs, on lui impose le célibat mais comme il ne prononce pas de voeu de chasteté, là encore cela créée une ambiguïté car il n'a finalement pas plus d'obligations en la matière que n'importe quel chrétien laïc. (Certes, son état de prêtre sous-entend une certaine exemplarité de vie chrétienne, mais ce n'est que sous-entendu, donc officieux...).
En Orient, les choses sont plus claires: d'un côté un clergé séculier marié, qui vit au milieu du peuple uniquement pour lui dispenser les sacrements et célébrer la Liturgie, et de l'autre les moines appelés à la radicalité de la perfection évangélique par leur état de vie.
Or la vocation de prêtre et la vocation de religieux sont deux vocations bien distinctes. L'obligation du célibat fait peser sur le clergé séculier une exigence élevée qui relève de la radicalité évangélique que beaucoup d'entre eux ne sont visiblement pas capables de respecter car ils n'ont tout simplement pas une vocation de religieux. Sans parler des scandales actuels, on le voit notamment en Afrique comme en bien d'autres endroits où le célibat est très peu respecté dans le clergé.
Ce n'est pas étonnant puisque l'on impose à des hommes qui n'en on pas la vocation une règle relevant de la perfection évangélique propre à la vie religieuse, mais en les jetant souvent seuls dans le monde avec toutes ses tentations, mais sans leur donner les armes spécifiques à la vie religieuse qui permettent de les aider à respecter ces vertus chrétiennes: la vie de communauté, la vie claustrale, la prière régulière, la règle, etc.
Il serait donc faux de dire que la crise actuelle n'a strictement rien à voir avec la règle du célibat.
Il est également sans doute exagéré, comme le fait le cardinal Sarah, de donner l'impression que la loi du célibat a un caractère dogmatique alors que ce n'est pas le cas. C'est une question dont on peut et même doit pouvoir discuter, surtout dans le contexte actuel.
Cela étant dit, l'Eglise d'Occident doit-elle pour autant renoncer à la règle du célibat?
La réponse n'est pas simple, mais malgré tout ce que je viens de dire j'aurais tendance à répondre non.
- d'abord parce que le célibat est en Occident une règle maintenant millénaire, que la figure du prêtre célibataire s'est imposée dans nos consciences. Y mettre fin brutalement ne réglerait pas le problème de la crise de l'identité sacerdotale, au contraire. En outre, dans le contexte actuel, où les mentalités sont imbibées de mentalité moderne, cette mesure aurait pour effet d'accélérer la désacralisation dans l'Eglise; elle placerait sans doute de nombreux prêtres dans d'angoissants dilemmes que la règle du célibat permet de trancher dans le sens de la fidélité à Dieu.
- ensuite, Jean Mercier dans son ouvrage Célibat des prêtres. la discipline de l'Eglise doit-elle changer? a bien dégagé les enjeux de la question et a montré qu'une abolition pure et simple de la loi du célibat ne résoudrait pas le problème des vocations (qui est avant tout un problème de foi et non de célibat), créerait sans doute plus de problèmes qu'il n'en résoudrait dans le contexte actuel, et ne rendrait pas automatiquement le clergé plus exemplaire et édifiant qu'il ne l'est actuellement. La présence d'un bas clergé marié en Orient "fonctionne" certes mais parce qu'il s'agit d'une réalité entrée depuis longtemps dans les mentalités et la culture; il n'est pas un modèle transposable automatiquement à un Occident aux mentalités très différentes; par ailleurs même en Orient il pose aussi un certain de nombre de difficultés non négligeables; la situation du clergé en Orient ne doit donc pas être faussement idéalisée.
Pour conclure, j'affirmerais la chose suivante: l'Eglise d'Occident est la croisée des chemins. Elle peut sur le sujet qui nous occupe emprunter deux chemins:
- soit progressivement s'acheminer vers la fin de la règle du célibat pour les prêtres, se rapprochant ainsi de la situation des Eglises d'Orient;
- soit conserver la règle de l'universalité du célibat; mais dans ce cas, il est évident que des réformes radicales s'imposent, notamment dans la formation sacerdotale et le discernement des candidats au sacerdoce d'une part, afin de s'assurer dans la mesure du possible que le sacerdoce célibataire ne soit pas utilisé comme "couverture" par des dépravés, des pervers ou simplement des hommes inaptes au mariage; et d'autre part, dans le style de vie des prêtres après leur ordination, en favorisant un style de vie plus communautaire et encadré que celui qui prévaut jusqu'ici (la communauté Saint-Martin ayant à la suite des enseignements conciliaires adopté de bonnes intuitions sur ce point). Cela signifie que l'Eglise devra désormais "assumer" clairement le fait qu'en Occident, le prêtre est un quasi-religieux...