Bonjour Lycobates, et merci beaucoup pour votre message.
1. Je vous apporte une première précision sur le point 3. de mon précédent message ; je voulais faire de l'humour, mais je m'y suis sans doute mal pris, et du coup vous m'avez peut-être mal compris ; j'insère donc ci-dessous ce même point 3, qui est le produit du raisonnement suivant : s'il y a continuité magistérielle entre l'avant-Concile et le Concile, alors, il doit y avoir, d'une manière non négligeable, dans le Magistère antérieur au Concile, des signes annonciateurs, des signes avant-coureurs, des nouveautés ou des novations spécifiques au Concile :
" 3. Sans doute les constitutions, déclarations, encycliques, exhortations "pastorales", annonciatrices de GS, DH, NA, n'ont-elles pas manqué, au Concile de Trente et à Vatican I, ou dans le Magistère pontifical antérieur à Vatican II, ce qui donne un argument convaincant, décisif, aux continuistes de stricte observance..."
2. Je vous apporte une deuxième précision, mais j'enfonce une porte ouverte en le faisant ; j'ai parlé, dans mon précédent message, de renouveau dans la disproportion, compte tenu du fait que, surtout à partir du Concile, les hommes d'Eglise ont commencé à aborder certains sujets ou thèmes, d'une manière complètement disproportionnée, par rapport à l'espace d'expression qui était accordé à ces mêmes sujets ou thèmes, dans le Magistère antérieur au Concile.
3. Deux remarques complémentaires à celle qui précèdent doivent être faites :
A.
- non seulement il y a eu renouveau dans la disproportion, en ce que certains problèmes, certaines questions, ont commencé à être évoqués plus que de raison,
- mais en outre, d'autres problèmes, d'autres questions, ont commencé à être évoqués d'un point de vue essentiellement anthropocentré ou anthropocentrique,
- et enfin, c'est surtout à partir du Concile que les hommes d'Eglise ont commencé à parler le moins possible de certains sujets ou thèmes néanmoins inhérents à la Foi catholique et aux moeurs chrétiennes, dont le péché originel et les fins dernières.
B. Je m'efforce de résister à la tentation du procès d'intention rétrospectif, mais je m'efforce aussi d'interroger et d'interpréter la mentalité qui a été ou est toujours à l'oeuvre, dans ce renouveau dans la disproportion ;
- certes, il s'agit d'une mentalité consensualiste, qui amène à évoquer le moins possible les composantes doctrinales du christianisme catholique supposées ou tenues pour être les moins consensuelles, en fonction de tel ou tel point de vue non catholique ;
- mais il s'agit aussi d'une mentalité subordonnée à une volonté de rattrapage cognitif et culturel, doctrinal et pastoral, linguistique et liturgique, pour faire en sorte que l'Eglise commence à rattraper son retard, institutionnel, intellectuel et relationnel, donc à l'égard
- de son aménagement intérieur, de ses structures internes,
- de l'expression, sinon du fondement, de sa pensée et de sa vision,
- de son environnement extérieur, de ses relations externes.
C'est cette mentalité de rattrapage d'un coupable retard, qui aurait été pris, par l'Eglise, vis-à-vis du monde moderne, notamment de ses structures mentales et de ses pratiques sociales, surtout entre 1815 et 1958, qui constitue l'une des motivations des hommes d'Eglise qui ont "fait" Vatican II ; et c'est cette même mentalité qui explique le fanatisme réformateur qui a animé bon nombre de ceux qui ont mis en oeuvre le Concile, dans les années 1960 et 1970 : n'y avait-il pas urgence, pour rattraper ce coupable retard, et la prise en compte de cette urgence ne légitimait-elle pas certains violences faites à certains principes, à certaines pratiques, et à certaines doctrines, y compris, parfois, au Concile lui-même ?
4. Je suis tenté de dire qu'aujourd'hui nous sommes passés, ou semblons être passés, du fanatisme au fatalisme : la contestation chrétienne contemporaine de la modernité libérale, ou plutôt de la post-modernité libertaire, porte plus souvent sur des abus ou des excès transgresseurs que sur les principes qui en sont l'origine, et surtout, elle porte davantage sur les questions qui relèvent des moeurs ou de la morale, domestique ou politique, que sur la religion ou la spiritualité.
5. Or, le scandale absolu de notre temps n'est pas avant tout d'ordre moral ou social, "culturel" ou "sociétal", matériel ou temporel ; le scandale absolu de notre temps est radicalement et spécifiquement religieux et spirituel, mais aussi doctrinal et pastoral : il réside dans la mise sous silence, "parfois" par l'Eglise elle-même, notamment et par exemple, du contenu de la lettre encyclique Veritatis Splendor, ou du contenu de la déclaration doctrinale Dominus Iesus.
6. En d'autres termes, cette mentalité de rattrapage, de mise à jour de l'Eglise, vis-à-vis, pour aller vite, de la civilisation contemporaine, ou plutôt de ce qui tient lieu de civilisation à nos contemporains,
- ne s'est pas seulement traduite, de jure, par une actualisation de la forme du discours, notamment au contact d'une partie de la philosophie contemporaine,
- mais s'est également traduite, de facto, par une marginalisation des contenus déplaisants ou dérangeants, "exigeants" et "objectants" au sein de ce discours.
Vraiment merci beaucoup pour votre message, et bonne journée à vous.
Scrutator.