et je vous en remercie, ainsi que pour ces citations, bien connues, qui démontrent (notamment celle de Saint Bellarmin ***) la discussion théologique (non aboutie et non tranchée par le Magistère) à ce sujet, même si à partir du XVI/XVIIe s., je vous le concède tout de suite, un certain consensus se dessine en faveur de la thèse que vous défendez. Je ne m'y opposerais pas. Pointer du doigt cette discussion était en fait le motif principal de mes messages "nuance" et "à vérifier" plus haut dans ce fil.
Car rassurez-vous, il ne s'agit pas de nier ou de mettre en doute la justification de la vénération des Innocents (ce ne serait pas possible) ou d'autres enfants non baptisés martyrs canonisés (encore faudrait-il qu'on en donnât des exemples concrets et précis, ce qui n'est, autant que je voie, jamais le cas ; or, les Innocents sont, à mon avis, un cas spécial, ad modum privilegii, c'est ce que dit Saint Alphonse aussi, dans votre citation).
La question n'est en effet pas de savoir si ces Innocents et éventuellement d'autres enfants martyrs canonisés de l'époque chrétienne ultérieure (post Evangelium promulgatum, car les Innocents sont de l'Ancienne Alliance), tués dans des circonstances pareilles, sont de vrais saints (on ne saurait en douter), mais d'élucider comment il faut comprendre qu'ils ont pu être martyrs (témoins), et donc saints, sans avoir voulu (sans avoir pu vouloir) l'être.
Saint Thomas (je l'ai cité, II-IIae q. 124, art. 1, ad 1) écarte comme invraisemblable l'idée que leur libre arbitre aurait été accéléré de façon miraculeuse pour leur permettre de faire un acte de vertu surnaturelle (et c'est peut-être en effet infondé de supposer un tel miracle, mais il n'est pas infondé de postuler sa nécessité), et il présume, je crois faute de mieux (Alexandre de Hales, Bonaventure, et après lui, Domingo de Soto, Bañez et Vásquez n'étaient pas de cet avis), une grâce spéciale, ad hoc, de Dieu.
Fort bien, mais c'est encore autre chose que de dire carrément, comme pour les Sacrements proprement dits, que le martyre opère pour un non baptisé la grâce de la justification ex opere operato, par le fait même. Et en fait on ne dit pas cela, les théologiens parlent de façon plus prudente (voir e.a. Scheeben, Dogmatik IV, nº 366 pour un aperçu) d'un quasi ex opere operato ou per modum operis operati.
Il existe à ce sujet une thèse de Wilhelm Hellmanns, de l'Université de Breslau (en Silésie), faculté de théologie catholique, Wertschätzung des Martyriums als eines Rechtfertigungsmittels in der altchristlichen Kirche bis zum Anfange des vierten Jahrhunderts de 1912.
Je ne l'ai pas, je vais essayer de la trouver.
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Soulignés et ajouts par moi
Le second effet présente une plus grande difficulté. Car, ne manquent pas les théologiens, comme Dominique a Soto et Martin Ledesmius (1V, dist 3, question 1, art 11) qui enseignent le martyre ne produit pas une grâce par l’œuvre opérée, mais seulement par l’œuvre de l’opérant, et que ce degré de grâce correspond au mérite de charité du martyr. Car un martyre soutenu sans charité n’est d’aucun profit [Saint Thomas le dit aussi explicitement dans III, q. 66, art. 12, ad 2 et II-IIae q. 124, art. 2 ad 2 !]. Voilà pourquoi nous croyons que tous les vrais martyrs ont eu la charité véritable et même parfois, la plus grande, avant même qu’ils subissent le martyre. Saint Jean XV : «Il n’y a pas de plus grand amour que de donner sa vie pour ses amis.» Mais la sentence la plus probable est que le martyre confère la première grâce par l’œuvre opérée (l’opération de l’œuvre), de telle sorte que si quelqu’un se présente au martyre en état de péchés, avec une foi et une charité de commençants, et une pénitence imparfaite, il faut que, avant le baptême d’eau, il soit justifié et sauvé dans la vertu du martyre, par l’œuvre opérée. C’est ce qu’enseigne expressément saint Thomas ( 4 dist 4.question 3, art 3, a 1, et toute la question 4 [mais pas dans la Somme !]), Jean le majeur, Gabriel et d’autres (même dist livre 4.)