Je vous remercie pour cette référence.
Je ne connais pas votre Mgr Guérin et son livre (mais cela ne veut rien dire à priori), je vous conseillerais quand-même de consulter de préférence l'édition originale du XIXe s., et pas sa réédition "tradie". On aura tout vu.
Et même le XIXe s. n'est pas à l'abri de certaines mystifications pieuses.
Ceci dit, je suis sûr que ce Mgr Guérin, s'il est sérieux, et je le concède à priori, aura donné en pied de page une référence exacte au traité du pape Benoît XIV [que la réédition n'a peut-être pas reproduite, surtout si elle était en latin, on se demande pourquoi], qui aurait un poids certain, s'il donnait des exemples avérés d'enfants béatifiés, ou mieux, canonisés, comme martyrs, qui n'étaient pas parvenus à l'âge de la raison (ce serait assez surprenant), voire non baptisés (ce serait encore plus surprenant).
Je n'ai pas le temps de vérifier ce soir (les textes sont en ligne).
Dans ce cas, je reviserais mon propos, mais entretemps je préfère m'en tenir à l'Aquinate, qui exige, pour un véritable martyre, l'exercice en acte de la vertu de charité envers Dieu.
Le cas des Innocents est, comme on a dit, d'un ordre unique, qui ne saurait servir d'argument. Nous sommes là avant Golgotha, et avant l'exigence du baptême au salut. (Ces garçons étaient par ailleurs probablement circoncis, mais même si par aventure certains ne l'étaient pas, cela ne changerait pas beaucoup l'argument).
Quant au beato Simonino, non canonisé, mais béatifié par une béatification équipollente, et depuis lors, à ce jour, l'objet d'une vénération locale fervente dans le calendrier liturgique de certains diocèses (c'est un argument certain) a, lui, sans doute aucun été baptisé. Il était l'enfant d'une famille chrétienne, d'un âge de deux ans et demi au moment de sa mort, et enlevé et tué précisément pour cette raison : d'être un enfant chrétien. Son supplice n'aurait pas eu de sens s'il n'était pas un enfant chrétien baptisé.
Mais, c'est vrai, il n'était pas parvenu à l'âge de la raison (sauf miracle), donc techniquement, selon l'acception thomiste, il n'a pas pu être martyr.
Je rappelle que la discussion théologique n'est pas close à ce sujet, ce qui pourrait expliquer certaines inconséquences, pas au niveau des canonisations (dans ce cas la discussion serait close), mais peut-être au niveau des béatifications, surtout équipollentes, ou autres formes de vénération.
Une parenthèse quand-même.
Dans la "béatification" qui nous occupe (nous ne sommes pas en présence ici d'un acte de l'Église catholique) le châtiment (moralement inique, puisque "Sippenhaft", punition collective) infligé par l'occupant à cette famille polonaise qui protégea des pauvres juifs contre leurs persécuteurs, ne saurait être considéré comme étant perpétré in odium fidei. Les persécuteurs n'avait cure de la foi de cette famille, ni des vertus chrétiennes, qu'ils ne connaissaient probablement même pas, mais nous sommes le cas échéant en présence d'une mesure purement politique, raciale, sociétale, et pas du tout d'une persécution religieuse. Les persécuteurs auraient infligé le même châtiment (et de fait, cela s'est produit), à une famille non-catholique, protestante, libérale ou socialiste, ayant agi de la même sorte, pour avoir aidé des juifs. Ce qui importe pour déterminer l'aspect "in odium fidei", n'est pas la motivation de la victime pour poser l'acte, mais celle du persécuteur pour le punir.
Par ailleurs cet acte d'aide, d'une humanité certes charitable, aurait pu se diriger tout autant, comme cela fut le cas plus tard, après la guerre, à des communistes maquisards ou des nazis défaits fuyant à leur tour leurs persécuteurs ; un chrétien ne demande pas le CV, ni le certificat de baptême ou le billet de confession à quelqu'un qui se présente à sa porte en temps de crise aiguë et qui est visiblement en danger de mort : dans ce cas tout venu devient le prochain en danger. Si, par un hasard politique, un acte pareil de charité de la part d'un chrétien envers un maquisard ou un nazi avait été puni par une autorité en place de façon pareillement inique par la peine de mort, collective de surcroît (car une certaine peine, moins sévère certes, envers le responsable direct, pas les autres membres de sa famille, serait justifiable par un souci d'ordre social, même si cet ordre en temps de guerre ou de post-guerre comporte des aspects iniques), cela n'en aurait pas fait un martyr pour autant, car le châtiment ne serait pas non plus infligé pour une raison religieuse, mais purement politique ou sociétale.