Dans son livre Saint Joseph, époux de Marie, Père Nourricier de Jésus, patron de l'Église d'après l'Écriture Sainte et la Tradition (1895), le père Victor Mercier, S.J. fait un bon résumé de l'état de la question concernant la sanctification in utero de saint Joseph en expliquant les trois opinions qui existent parmi les théologiens. L'auteur prend soin de rejeter et de réfuter les deux premières opinions, et de prendre la défense de la troisième selon laquelle saint Joseph fut sanctifié dès le sein maternel. C'est même très agréable à lire.

Même si le sujet principal de ce fil est l'Assomption de saint Joseph, il est convenable de parler également de sa sanctification in utero en tant que thème important pour la joséphologie et qui fut aussi évoquée par des saints et des Docteurs de l'Église.

Voici donc une retranscription d'une partie d'un chapitre de ce livre qui nous permettra de voir plus clair sur une question qui mérite d'être abordée sur un Forum catholique:

Chapitre II: Sanctification de Joseph dans le sein de sa mère

(...)

''I. Nous trouvons, par rapport à la sanctification de Joseph dans le sein de sa mère, trois sentiments différents parmi les docteurs catholiques.

1ère opinion: Conception Immaculée de saint Joseph (opinion rejetée)

1. Saint Joseph, se demande un pieux auteur, a-t-il été préservé de la tache originelle? C'est-à-dire, de même que Dieu a préservé Marie du péché originel, pour qu'elle devînt sa digne mère, n'a-t-il pas accordé la même prérogative au bienheureux Joseph, pour qu'il fut le digne époux de Marie, le père nourricier de son fils, et qu'il égalât par sa pureté l'ineffable innocence de la Vierge ? Mais, après avoir longuement exposé et discuté cette question, l'auteur n'ose répondre affirmativement, car il conclut en disant: C'est le secret de Dieu.

Pour nous, nous irons plus loin avec la plupart des théologiens; nous ne croyons pas que ce sentiment puisse être admis sans danger. «Le saint concile de Trente déclare qu'il n'a pas l'intention de comprendre dans le décret du péché originel la bienheureuse et immaculée Vierge Marie, mère de Dieu.» Mais la Vierge Marie étant seule exceptée, comment ne pas étendre la loi du péché originel à tous les hommes, y compris saint Joseph ? La conception immaculée de Marie se rattachait à l'honneur même du Christ; il ne fallait pas que le serpent infernal put se glorifier d'avoir tenu sous sa domination la chair que devait revêtir le Fils de Dieu. D'ailleurs, la conception de Jésus et l'enfantement de la Vierge étaient l'oeuvre du Saint-Esprit, et n'avaient rien d'une participation terrestre. Mais toutes ces sublimes considérations sont étrangères à saint Joseph qui ne fut que le père adoptif de Jésus, son gardien et son nourricier. Toute la noblesse naturelle du Sauveur découlait immédiatement de sa sainte Mère. Ce n'est donc pas une conception immaculée que nous devons revendiquer pour saint Joseph, afin qu'il fut un aide semblable à Marie, mais seulement la sanctification dans le sein de sa mère.

Marie et Joseph étaient semblables et non égaux; c'est à la Vierge seule que l'on peut appliquer ces belles paroles de saint Augustin: «De même qu'en face de Dieu personne ne peut être appelé bon, de même en face de la mère de Dieu il n'est pas de parfaite créature, quelle que soit la grandeur de ses vertus. Il n'y a qu'un seul père dans les cieux, et sur la terre il n'est qu'un seul modèle de toutes les vertus, la Vierge Marie.» Aussi Grégoire de Valentia n'hésite-t-il pas à enseigner comme certain et même de foi, qu'à part la bienheureuse Vierge, tous les descendants d’Adam ont été souillés du péché originel. Comme le péché est entré dans le monde par un seul homme, et la mort par le péché, ainsi la mort est passée dans tous les hommes par ce seul homme en qui tous ont péché.

La sainte Église a pour mission d'expliquer le sens des saintes Écritures; or, en affirmant que le passage de saint Paul s'applique à tous les mortels, la seule Vierge exceptée, elle nous donne pour règle de foi que personne n'a participé à l'unique privilège de Marie.

2e opinion: Saint Joseph n'aurait pas été sanctifié dans le sein de sa mère (opinion réfutée)

2. La seconde opinion prétend que non seulement saint Joseph n'a pas été préservé du péché originel, mais même qu'il n'a pas été sanctifié dans le sein de sa mère. La règle générale, dit-on, est que tous les hommes naissent coupables du péché originel, et la présomption étant toujours en faveur de la règle, il faut, en proposant une exception, l'appuyer sur des preuves sérieuses. Or rien ne prouve incontestablement que saint Joseph ait été sanctifié dans le sein de sa mère. Pourquoi donc le soustraire à la règle commune?

3e opinion: Saint Joseph a été sanctifié in utero (opinion favorable)

3. Nous allons montrer que la troisième opinion qui soutient que saint Joseph a été sanctifié dans le sein de sa mère, s'appuie sur des preuves sérieuses.

Elle a d'abord pour elle-même un grand nombre de docteurs, parmi lesquels nous pouvons citer saint Jean Chrysostome; le vénérable Gerson, affirmant devant le concile de Constance qu'il puise cette doctrine dans l'office de l'Église de Jérusalem, et ce sentiment, au dire de Benoît XIV, emprunte une autorité considérable à cette particularité attestée par un contemporain, que l'orateur fut entendu avec une extrême faveur par toute l'Église assemblée conciliairement; enfin plusieurs théologiens Dominicains, Augustins, Jésuites, entre autres les PP. Salmeron et Canisius qui approuvent sans restriction le sentiment de l'illustre chancelier de l'Université de Paris.

L’Écriture nous parle de plusieurs enfants qui ont été sanctifiés dans le sein de leur mère, et ces sanctifications ont eu pour motif, ou l'éminente dignité future de celui à qui Dieu accordait cette grâce, ou le rôle qu'il devait remplir en vue du Christ, le Saint des saints. Or, ne trouvons-nous pas toutes ces conditions dans saint Joseph, qui a été l'objet d'une prédestination divine en vue du Christ et que le Saint-Esprit a proclamé juste au-dessus de tous les saints ?

Le prophète Jérémie, par exemple, mérita d'entendre ces paroles : Avant de t'avoir formé dans les entrailles de ta mère, je t'ai connu ; avant que tu fusses sorti de son sein, je t’ai sanctifié, et je t'ai établi prophète parmi les nations. C'était une allusion aux prophéties si explicites de Jérémie sur la venue du Messie. Donc, à plus forte raison, saint Joseph a dû être sanctifié de la même manière, à cause de la connaissance plus parfaite qu'il a eue du Christ. Saint Jean-Baptiste, parce qu'il devait montrer le Sauveur aux Juifs, reçut la même grâce de sanctification : Il sera rempli du Saint-Esprit, dit l'ange à Zacharie, dès le sein de sa mère. Comment donc saint Joseph, qui devait élever ce même Sauveur, n'aurait-il pas été sanctifié, avant sa naissance ?

Rien dans la nature des fils d’Adam ne s'oppose à cet auguste privilège. Or, si Marie, à cause de la dignité de son divin Fils, a été préservée de la tache originelle; pourquoi Joseph, qui avait été choisi de Dieu pour être appelé le père de Jésus, n'aurait-il pas reçu une grâce spéciale de sanctification ? Et si les anges, que Dieu a créés pour exécuter ses ordres, brillent de la pureté qui convient à ces fonctions sublimes; pourquoi Joseph, qui a été distingué parmi les hommes et même au-dessus des esprits angéliques, pour remplir auprès du Fils de Dieu les fonctions les plus intimes, n'aurait-il pas été sanctifié dès le sein de sa mère?

Moïse, parlant du fils de Jacob, s'écrie : Que la bénédiction de celui qui apparut dans le buisson, descende sur la tête de Joseph. Ce buisson, comme l'expliquent saint Bernard et saint Bonaventure, n'est autre que la bienheureuse mère de Dieu ; par conséquent la bénédiction qui descend sur Marie, doit venir aussi sur la tête de Joseph. Marie sera préservée de toute souillure, et Joseph sera sanctifié avant sa naissance. Est-ce donc trop d'accorder ce dernier privilège à Joseph? «De même que la gloire de Marie est la gloire de son fils Jésus, ainsi la gloire de Joseph rejaillit sur le fils et sur la mère ; ce que la piété offre à Joseph est offert à Jésus et à Marie, et le Christ et la Vierge et la a cour céleste tout entière l'accueillent avec bonheur».

II. Les objections que l'on a soulevées contre cette thèse ne sont pas difficiles à réfuter. On cite d'abord ces paroles de saint Denys l'aréopagite dans le traité des Noms divins: «Pour tout ce qui touche à l'essence supersubstantielle de Dieu, ou aux oeuvres qui dépendent de sa pure volonté, nous ne devons croire ni affirmer que ce qui est expressément énoncé dans les saintes Ecritures.» Suarez n'est-il pas de même avis, lorsqu'il dit : « On doit se garder d'affirmer et même d'appuyer par son assentiment certains privilèges que plusieurs attribuent au bienheureux Joseph, par exemple sa sanctification dans le sein de sa mère. Ces faveurs, en effet, ne sont pas signalées par les saintes Écritures et ne peuvent être revendiquées sans de puissantes raisons, ou en dehors de l'autorité suprême de l'Église et des saints Pères. »

Les raisons qui militent en faveur de la sanctification de Joseph avant sa naissance ont été exposées plus haut. De plus, nous avons vu que cette opinion s'appuie sur l'autorité d'un grand nombre de docteurs, qu'elle peut même être regardée comme la doctrine de l'Église de Jérusalem, approuvée par le concile de Constance. Reste donc qu'on ne la trouve pas enseignée dans les livres inspirés.

On peut établir quatre catégories dans les questions qui regardent la foi.

La première comprend tout ce qui est certain, tout ce qui a été expressément défini comme dogme catholique, par exemple tout ce qui est renfermé dans les saintes Écritures, à ne le considérer que comme sens littéral ; et aussi, dit saint Jean Damascène, tout ce qui nous est transmis par la loi, par les prophètes, les apôtres et les évangélistes. C'est à ce sujet que saint Augustin écrivait à saint Jérôme : «J'ai si bien appris à vénérer les seules Écritures qui sont appelées canoniques, que je mets ma foi la plus entière à ne pas admettre une seule erreur dans ce qu'ont écrit leurs auteurs.»

À la seconde catégorie appartiennent les écrits pleins d'incertitude dans leur autorité et dans la pensée qu'ils renferment; ceux-là on peut les appeler simplement apocryphes.

À la troisième, nous attribuons tout ce qui ne s'appuie pas sur un sens déterminé des saintes Écritures ou sur une raison nécessaire, tout ce qui n'ayant pas une évidence incontestable tire sa force de raisons seulement probables : telles sont une multitude d'opinions soutenues par les théologiens.

Enfin la quatrième catégorie renferme tout ce qui n'est pas expressément contenu dans les saints Livres, ni même d'une clarté de raison incontestable, mais qui s'appuie si bien sur les Écritures comme conséquence, ou sur des motifs si puissants, qu'on peut affirmer que rien dans l'écriture, ni aucun raisonnement sérieux ne lui est opposé. On dit alors que c'est une croyance pieuse.

C'est à cette dernière catégorie qu'appartient la sanctification de saint Joseph dès le sein de sa mère.

Il est donc facile de répondre à ceux qui prétendent que le prophète Jérémie et saint Jean-Baptiste seuls ont été formellement exemptes de la règle générale d'après laquelle tous les hommes naissent coupables du péché originel. Sans doute la sainte Écriture ne cite que ces deux exceptions, mais elle n’exclut pas les cas semblables. Or Joseph, nous l'avons dit, est non seulement semblable à Jérémie et à Jean-Baptiste, mais encore éminemment plus élevé dans le ministère et les vertus qui leur ont mérité leur glorieux privilège.

D'ailleurs, nous n'affirmons pas le même privilège de saint Joseph, comme un article de foi contenu dans le texte sacré, ou conforme à l'interprétation de l'Église catholique ; nous nous contentons de le proposer à la piété chrétienne comme un de ces points de doctrine qui, sans être déterminés dans les Livres saints, sans être évidents par eux-mêmes, s'appuient néanmoins sur les raisons les plus probables et sur une tradition respectable. (...)''

Source

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