Si on aborde un tel récit sous l'angle "vrai" ou "faux" ("légende urbaine"), on discutera à l'infini sans aboutir jamais.
Léon XIII a-t-il laissé une trace écrite de cette vision à lui attribuée ? A-t-il fait état de la vision en la décrivant ? Apparemment non en l'état des archives et déclarations publiques.
On peut alors suivre Candidus dans son refus de croire puisqu'il n'a pas pu mettre sa main au côté comme le Thomas des Evangiles.
MAIS cela n'épuise pas le sujet et ne nous dit rien que d'extérieur : il n'y a pas de certitude objective et vérifiable à ce jour.
Est-ce pour autant 100% faux et invraisemblable ?
En appliquant la même méthode que Candidus, on ne peut pas conclure de façon tranchée parce que le récit est plausible et s'inscrit dans un contexte congruent.
Il en irait différemment si le contexte était aux antipodes et le récit en décalage complet avec les paroles et écrits de Léon XIII : là je conclurais à la fausseté probable.
Légende urbaine vaticane possiblement mais si elle a été si bien reçue, c'est que sa plausibilité est forte.
Léon XIII est aux prises avec une poussée de sécularisme "libéral" particulièrement agressif un peu partout en Europe :
- attaques en Italie
- Kulturkampf en Allemagne qu'il s'efforce de démanteler et a marqué des points en 1884 ; pareil en Suisse
- vague de laïcisation violente en France depuis 1879
- phénomène similaire en Amérique latine en dehors de la Colombie.
Voir l'Église attaquée de toute part en 1884, cela est très réel, ce sont les faits dans de nombreux pays catholiques ou à forte minorité catholique. Le récit est congruent avec le catholicisme en 1884.
En outre, Léon XIII a signé le 20 avril 1884 l'encyclique Humanum genus contre la franc-maçonnerie qui se conclut ainsi :
"Du reste, nous savons très bien que nos communs labeurs, pour arracher du champ du Seigneur ces semences pernicieuses, seraient tout à fait impuissants si, du haut du ciel, le Maître de la vigne ne secondait ces efforts. Il est donc nécessaire d'implorer son assistance et son secours avec une grande ardeur et par des sollicitations réitérées, proportionnées à la nécessité des circonstances et à l'intensité du péril. Fière de ses précédents succès, la secte des francs-maçons lève insolemment la tête et son audace semble ne plus connaître aucune borne. Rattachés les uns aux autres par le lien d'une fédération criminelle et de leurs projets occultes, ses adeptes se prêtent un mutuel appui et se provoquent entre eux à oser et à faire le mal.
A une si violente attaque doit répondre une défense énergique. Que les gens de bien s'unissent donc, eux aussi, et forment une immense coalition de prière et d'efforts. En conséquence, Nous leur demandons de faire entre eux, par la concorde des esprits et des coeurs, une cohésion qui les rendent invincibles contre les assauts des sectaires. En outre, qu'ils tendent vers Dieu des mains suppliantes et que leurs gémissements s'efforcent d'obtenir la prospérité et les progrès persévérants du christianisme, la paisible jouissance pour l'Eglise de la liberté nécessaire, le retour des égarés au bien, le triomphe de la vérité sur l'erreur, de la vertu sur le vice.
Demandons à la Vierge Marie, Mère de Dieu, de se faire notre auxiliaire et notre interprète. Victorieuse de Satan dès le premier instant de sa conception, qu'Elle déploie sa puissance contre les sectes réprouvées qui font si évidemment revivre parmi nous l'esprit de révolte, l'incorrigible perfidie et la ruse du démon. Appelons à notre aide le prince des milices célestes, saint Michel, qui a précipité dans les enfers les anges révoltés; puis saint Joseph, l'époux de la Très Sainte Vierge, le céleste et tutélaire patron de l'Église catholique et les grands apôtres saint Pierre et saint Paul, ces infatigables semeurs et ces champions invincibles de la foi catholique. Grâce à leur protection et à la persévérance de tous les fidèles dans la prière, Nous avons la confiance que Dieu daignera envoyer un secours opportun et miséricordieux au genre humain en proie à un si grand danger."
Entre le récit et l'encyclique, il y a une grande homogénéité de langage, de représentations mentales : c'est le même univers.
Bref fausse peut-être, vraie peut-être: personne ne peut rien conclure sur ce point et on ne saurait prendre cette "vision" alléguée pour un fait certain sur lequel s'appuyer. Mais la vision, fioretti du pape Léon XIII en somme, nous introduit dans une mentalité d'une époque qui elle est vraie. Elle aide à comprendre un état d'esprit de la fin du XIXe siècle et ensuite. En ce sens, elle constitue un document d'histoire aussi, d'histoire des mentalités.
Pour le chrétien, il reste la prière à saint Michel plus que jamais nécessaire.
Il est frappant qu'en 2018, le choc de l'affaire McCarrick a poussé plusieurs évêques américains à faire réciter obligatoirement ou en conseil la prière léonine. C'était bien vu et on pourrait élargir cette recommandation tellement les temps que nous vivons sont, à certains égards, plus graves que ce que Léon XIII a dû subir.