A la fin du XIXème siècle, deux grands penseurs anglais catholiques ont essayé de donner une incarnation économique à la doctrine sociale de l'Église : H. Belloc (franco-britannique) et G. Chersterton ; cela a donné la théorie socio-économique "distributiste".
L'idée directrice de cette théorie est de dépasser, ou plutôt de renvoyer dos à dos, le socialisme et le libéralisme économique, en dégageant une "troisième voie" s'inspirant des enseignements pontificaux.
Le distributisme refuse le socialisme qui supprime la propriété privée des moyens de production, en la transférant à l'État ; il refuse aussi le libéralisme économique qui permet et encourage la concentration des moyens de production entre les mains d'une minorité ploutocratique.
L'ambition distributiste est de diffuser la propriété à un maximum de personnes. Chesterton résume le problème ainsi : « Trop de capitalisme ne signifie pas trop de capitalistes, mais pas assez. »
Comment obtenir cette diffusion du capital ? En établissant un système d'imposition qui dissuade la concentration des moyens de production. Plus un propriétaire possède de moyens de production, plus il sera taxé, au point qu'arrivé à un certain taux d'imposition, il aura tout intérêt à se séparer d'une partie de ce capital au profit d'autres individus, ce qui entraînera une meilleure répartition de la propriété.
Ce principe s'applique aussi aux moyens de distribution, notamment ceux de la "grande distribution" qui commercialisent plusieurs secteurs de biens. Plus un réseau (une chaîne, un groupe) se développe, plus il doit être taxé ; ce que l'on cherche à contrer ici, est le modèle économique qui a entraîné la disparition de millions d'artisans et petits commerçants.
On accuse la théorie distributiste d'être confiscatoire et d'aller à l'encontre du droit naturel à la propriété. A cela les distributistes répondent que la finalité de la propriété est de nous procurer les biens nécessaires à la vie, nourrir notre famille, obtenir ce qui permet notre épanouissement physique, moral et spirituel...
La nature humaine pose des limites aux biens dont nous pouvons user : nous ne pouvons manger qu'une certaine quantité de nourriture et nous vêtir que d'une certaine quantité de vêtements, conduire qu'une seule voiture à la fois, etc. Notre nature humaine constitue donc le régulateur naturel de nos acquisitions mais encore faut-il que nous choisissions d'écouter notre raison plutôt que notre appétit blessé par le péché originel.
St Thomas indique : "l'appétit pour les biens naturels n'est pas infini parce qu'il a pour limite la satisfaction de nos besoins naturels, mais l'appétit pour les biens artificiels [par ex. l'argent] est infini, parce qu'il flatte l'hubris de notre concupiscence" (Somme Théologique, I-II, q. 2, a. 1, ad 3.).
Dès lors, pourquoi l'État ne pourrait-il pas légitimement nous obliger, pour développer et préserver le bien commun, à suivre les limites rationnelles de "nos besoins naturels" plutôt que le dictat de notre concupiscence, en mettant des obstacles à une accumulation déraisonnable de richesses ?
Je terminerai par une citation de Chersterton :
"Je suis tout à fait conscient que le mot "propriété" a été sali à notre époque par la corruption des grands capitalistes. A entendre certains, les Rothschild et les Rockfeller défendraient la cause de la propriété, mais d'une manière évidente ils en sont les ennemis, parce qu'ils sont les ennemis de leurs propres limites. Ils ne veulent pas [préserver] leur terre mais [obtenir] la terre des autres [...]. C'est la négation de la propriété que le duc de Sutherland possède toutes les fermes de son duché, comme ce serait la négation du mariage si toutes nos femmes appartenaient à un unique harem." ( What’s Wrong with the World, Ière partie, chapitre 6.)
Quelle est l'opinion des liseurs qui sont un peu familiers de la pensée distributiste ? Je serais notamment intéressé par l'opinion des Canadiens puisque c'est dans leur pays que la philosophie distributiste s'est le plus répandue ; peut-être d'ailleurs parce que le Québec a été longtemps une des contrées les plus catholiques du monde où la doctrine sociale de l'Église était la plus connue et appréciée ?
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