Je n'ai pas lu le livre de Régine Pernoult auquel vous renvoyés mais cette vision d'une Europe partagée entre une tradition romaine et une tradition germanique l'une et l'autre immuable n'est guère plus qu'un fantasme des romantiques.
D'une part il faut bien voir que l'inégalité successorale romaine fondée sur l'institution d'héritier est tout-à-fait différente de celle fondée sur la primogéniture qui se développe dans la noblesse européenne et dans la paysannerie de certaines régions.
D'autre part, le modèle de la Domus romaine archaïque où tous - épouse, fils, filles non mariées, belle filles, esclaves - vivent sous l'autorité du Pater familias qui a droit de vie et de mort sur eux, s'il reste inscrit dans le droit sous l'Empire romain, ne correspond absolument pas à la réalité familiale romaine telle qu'elle a été léguée au monde médiéval. La famille romaine du bas-empire est nucléaire et les enfants ont une part dans la succession qui ne peut leur être enlevée.
Par ailleurs, la Grande-Bretagne n'a rien de purement germanique. L'Angleterre a vécu comme la France sous l'empire de Rome. Les Angles et les Saxons, puis les Danois, n'ont pas fait disparaître les Bretons, de même que les Francs n'ont pas fait disparaître les Gallo-Romains. Ce "souvenir de venir d'ailleurs" que vous mettez en avant est plutôt une mode du XIXe siècle de se sentir germaniques.
Le droit anglais est largement tributaire de la conquête normande.
Que l'Angleterre moderne est une société commerçante est indéniable (il n'y a qu'à voir à quoi ressemblent les débats sur le Brexit : personne ne parle d'une Europe qui serait la pays ou de nationalisme, mais on s'écharpe allègrement sur le risque d'avoir un bad deal ou un no deal), mais faire remonter cela à une origine germanique plus que millénaire est bien osé.
L'absence d'Etat fort ? Il n'y a rien de plus faux. Ne confondons pas, sous prétexte de découvrir un génie propre anglo-saxon, ou trompés par le couple Reagan-Thatcher des années 1980, les Etats-Unis et le Royaume-Uni. L'histoire de la société anglaise est justement très marquée par un Etat fort qui permet justement à l'individualisme si caractéristique de l'Angleterre du dernier demi-millénaire de se développer. Dès Guillaume le Conquérant, l'Angleterre s'organise suivant une hiérarchie féodale bien huilée. Les villes anglaises sont d'abord des bourgs de type militaire fondés par le pouvoir royal (les -chester, -caster...). Sous Elisabeth Ière, une loi sur les pauvres ordonne que dans chaque paroisse un impôt soit récolté pour subvenir aux besoins des plus démunis, des orphelins, veuves, vieillards, malades... Cette loi a presque réduit à néant les solidarités familiales que connaissent toutes les sociétés traditionnelles. Voyez aussi l'attachement quasi-religieux au NHS créé par Attlee au lendemain de la guerre, qui est quasiment l'antithèse de la méfiance viscérale de tant d'Américains à l'égard de l'idée même d'un régime public d'assurance-maladie.
Oui, la tradition anglaise connait un Etat fort. Le Léviathan de Hobbes qui permet la liberté individuelle. C'est un Etat différent de la monarchie absolue des français, reposant d'avantage sur l'aristocratie, du fait du parlementarisme, mais c'est bien un Etat fort.
Pas de rupture dans l'histoire anglaise ? C'est à mon sens bien mal la connaître (et je suis moi-même très loin d'en être un spécialiste).
J'ai aussi du mal à vous suivre quant à la distinction entre un modèle familial qui produit des militaires et un autre qui produit des aventuriers. Car ces classes d'individu sont en fait très semblables et sont importantes là où des personnes de bonne naissance n'hérite pas ou peu. Ainsi, les lieux où la primogéniture a cours permettent généralement l'existence d'une noblesse pléthorique avec des masses de cadets prêts à faire la guerre au service du plus offrant (qui peut être leur roi ou un autre). C'est le cas en Gascogne (les Trois mousquetaires...) ainsi que dans tout l'Espace allemand (la Prusse n'en étant qu'un exemple), ou en Suède.
Il reste que synthétiser une histoire aussi riche selon quelques axes comme nous le faisons ici est un exercice amusant mais qui peut conduire à des approximations. J'en fais probablement moi-même beaucoup dans ce message.
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