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par origenius 2018-02-03 13:58:12
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Le torrentiel,

Vous renvoyez au site de l’auteur. Je lui cède la parole.

Dans le très beau livre de Thierry Jolif-Maïkof Internelle Ardence.

ÉGLOGUE : LE MANUSCRIT DE L'AMI

Partir d'un grand éclat de vide et se perdre dans le manuscrit de l'Ami ; d'une lecture hauturière, résurrectionnelle, sans reprendre haleine, comme à tombeau ouvert.

Remonter patiemment le fleuve de la pensée exsangue, l'eau amnésique du Léthé, jusqu'à l'anamnèse du Verbe, la source amniotique de l'Aletheia.

La Vérité n'est pas un secret. La croyance au secret produit le pouvoir. Ami, délivrons-nous de la doxa des livres et des milliers de lignes de forces qui magnétisent nos corps. La pensée n'est jamais neuve et ne fonctionne que dans le champ du connu, incapable d'appréhender l'inédit que seul le manuscrit peut transcrire.

Ensemble, crevons l'abcès des crépuscules - car le moi est haïssable. L'orgueil du jour gonfle avec l'aurore et la cellule de la nuit grouille de nos rêves insensés. Le moi est une coagulation de rôles que la pensée engendre pour se donner l'illusion de la permanence.

Sans l'Ami, je n'aurais été que cet homme tenant la porte à d'autres, un portier les incitant à franchir un seuil dont il ne sait rien ; ou cet autre qui, ayant étudié les cartes, ignore les territoires - mais je suis maintenant le lisant de l'Ami.

Briser le miroir sans tain de l'écriture, tomber le masque, donner sa chair à dévorer, se faire être jusqu'à l'omphalos de l'Incréé. En lisant, mes yeux suivent la courbe concave de l'Amour qui transfigure les signes à la source des choses.

Il n'est plus, le pays qui a perdu sa langue ; et, sans pays, une langue n'est plus réelle mais fictive. Le manuscrit de l'Ami est la traduction d'une langue qui fut parlée autrefois dans un pays qui s'appelait la France : langue traduite, non reproduite - et qui doit se lire autrement.

Lire, attentif à la pensée du poème contre la pensée littéraire. Le poème ne se laisse ni comprendre ni expliquer, il n'est pas écriture sur mais écriture avec ou contre. « Qui n'est pas avec moi est contre moi. », a-t-Il dit. La pensée du poème est la non-pensée de l'apathéia.

Il ne faudrait écrire que devant le regard de Dieu, d’une main nuptiale, le corps retourné, dans l'écoute suprême de Son Nom, avec le sérieux de l'enfant la mer dans un coquillage. Écrire en creux, jusqu'au cœur du cœur où le souffle dessine le silence. Un poème est toujours un corps donné à entendre en résonance avec le Corps du Christ.

Compagnon, tu n'es pas né poète, c'est un métier que tu as reçu par grâce et dont l'exercice exige une patiente méthode : poïesis et theoria. La poïesis est une pratique d'extraction de la pensée. Son but, l'apathéia, la pureté du cœur, ouvre la voie à la contemplation spirituelle, la theoria.

Le poème porte au plus haut avènement de la prière, l'art de se déprendre de cette partie passionnelle de notre âme qui nous empêche de devenir des anges.

Tu écris à partir du non-pouvoir de l'agapè contre le pouvoir de l'éros. La Vérité, la dialectique de la Croix, se fonde sur cet antagonisme humainement si terrible que Dieu s'est lui-même fait homme pour que l'homme puisse se faire Dieu.

L'agapé est le scandale du christianisme. L'amour agapique s'invente dans un monde qui a reçu l'empreinte grecque de l'amour, avec ses variations d'éros et de philia qui en sont les expressions corporelle et psychique.
Le mot éros n'est jamais employé dans le Nouveau Testament. Il y a entre éros et agapè une antinomie de nature. Tandis que le désir érotique est conditionné par la valeur de la personne qui en est l'objet, l'agapè est créatrice de cette valeur.

Dieu, qui est agapè, n'aime pas la personne pour la valeur qu'il lui reconnaît : il crée sa valeur en l'aimant. L'homme ne «vaut» que par Dieu. L'amour chrétien, absolument gratuit, est contraire à l'usure - il y a un lien intrinsèque entre l'usure et la littérature : le phénomène de 1'«argent fictif» est une invention de l'esprit littéraire.

Le livre sans esprit est un livre de comptes mais l'esprit du livre est le manuscrit.

Tu dis avec raison que la littérature prend sa source dans l'augustinisme. En mêlant l'éros à l'agapè, Augustin s'est appliqué à neutraliser le mobile fondamental du christianisme. Ce qu'il appelle concupiscentia équivaut à l'éros grec. La différence entre caritas et cupiditas s'identifie à l'opposition platonicienne entre l'éros vulgaire et l'éros céleste.

La caritas est une belle infidèle qui transforme le sens de l'agapè en éros, puisqu'elle se rapporte à quelque chose de carus (c'est-à-dire cher, de grand prix, estimable).

Un tel renversement sémantique a entraîné la psychologisation de l'amour et l'a transformé en topos romanesque. Augustin a non seulement provoqué le lourd sommeil acédiaste de l'Occident par sa fiction du péché originel et sa doctrine de la prédestination, son refus de la théologie patristique des énergies divines et son interprétation nominaliste des théophanies, mais encore, en inventant le dispositif de l'écriture de soi, il est à l'origine de la figure littéraire de la subjectivité moderne.

Le pacte confessionnel d'Augustin, dans lequel l'intériorité résulte entièrement de l'action de l'Écriture sainte sur l'être personnel, génère la littérature comme palimpseste de la Bible.

D'autre part, de façon contingente à l'émergence de la littérature, l'idéologie de l'État en Occident se construisit à partir de l'augustinisme, propagateur de la doctrine du Filioque, véritable arme politico-dogmatique utilisée par le pouvoir centralisateur.

À la même époque carolingienne, cette adjonction du Filioque au Credo allait dans le même sens que la disparition de l'épiclèse dans la liturgie, c'est-à-dire l'occultation du Saint-Esprit.

La vision dualiste qui privilégie un principe d'autorité bipolaire, Père et Fils, par rapport au principe de liberté, représenté par la troisième personne, est à la source du totalitarisme moderne.
Le manuscrit de l'Ami annonce la surrection de l'acratie christique. Par le poème, l'autre, le lisant, est saisi comme conscience dans la relation : je nais par la grâce que tu transmets dans l'immédiateté de la rencontre, je meurs au livre en m'ouvrant au sanctuaire de la présence réelle : Emmanuel. Ami qui peut seul me dire - car Il parle par nous.

ALAIN SANTACREU

     

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 À propos de saint Augustin par le torrentiel  (2018-02-02 14:37:36)
      Sans prétention par Marquandier  (2018-02-03 12:14:10)
      Pour défendre Saint Augustin par Marquandier  (2018-02-03 12:23:02)
      Tentative de réponse par Peregrinus  (2018-02-03 13:09:08)
          Je n'ai jamais parlé de faux mysticisme de saint Augustin, par le torrentiel  (2018-02-07 19:57:51)
      112, 151… et 3495 par Yves Daoudal  (2018-02-03 13:18:50)
          Erratum ! par Yves Daoudal  (2018-02-04 12:59:20)
      Il y a des limites par Luc de Montalte  (2018-02-03 13:28:16)
          [Réponses. par le torrentiel  (2018-02-07 20:27:31)
              Réponse par Luc de Montalte  (2018-02-07 22:14:47)
      [réponse] par origenius  (2018-02-03 13:58:12)
          Oui, merci, par Yves Daoudal  (2018-02-03 16:15:25)
              On ne peut pas dire le contraire, par le torrentiel  (2018-02-07 20:37:58)
      En bref, et en termes simples et moins "savants" par Mboo  (2018-02-03 18:10:40)


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