Je viens de lire un travail de R. Kriegel publiée par le Centre d’Etude et d’Action Sociales d’Alsace, intitulée : Mgr A.G. RONCALLI : Le Nonce et l’Epuration. Cette étude couvre la période durant laquelle Mgr Roncalli était nonce à Paris mais seulement jusqu’en 1948. Son auteur est manifestement de sensibilité moderniste et son travail n’en est que plus intéressant.
Je vous cite quelques passages significatifs de cette étude qui laissent entrevoir une image du futur Jean XXIII très éloignée de celle du révolutionnaire.
Je groupe les citations selon 3 thèmes :
- L’anti-communisme de Mgr Roncalli et sa compassion pour le camp des vaincus
- Son conservatisme liturgique et artistique
- Son antipathie à l’égard de la "Nouvelle Théologie"
Anti-communisme et compassion pour le camp des vaincus
p. 2 [ Le nonce ] montre sa sollicitude […] pour les victimes de l’épuration […] il a la hantise du communisme, déplore le sort des pays auxquels il s’impose, la Bulgarie, mais aussi la Yougoslavie ou la Roumanie. Il s’inquiète de la progression des partis communistes en France et en Italie.
p.4 [Concernant la promotion au cardinalat de Mgr Saliège à laquelle il est opposé] il craint […] que sa protestation publique contre la déportation des Juifs en 1942 ne nuise par contraste à ceux de ses confrères qui ont gardé le silence.
p.5 Il écrit le 30 avril 1945 : Triste journée à la pensée de l’abominable fin réservée par les partisans – soi-disant patriotes – à Mussolini avec Clara Petacci et à ses fascistes les plus proches. (p. 92 du Journal de France I d'Angelo Giuseppe Roncalli)
p.6 [le 27 juin 1945 à Lyon] Il prononce un vibrant plaidoyer pour la liberté de l’Eglise et sa défense contre les attaques dont elle est l’objet, avec une assez nette allusion – réprobatrice – à la conjoncture de l’épuration. (p. 108 du Journal de France I )
p.8 Le 24.01.1946 : La crise politique continue. Le plus clair, c’est que le communisme suit en tout les ordres de Moscou, qui sont des lois imprescriptibles. Pauvres gens. Et dire qu’on leur apprend à croire que les vrais esclaves sont les catholiques fidèles aux ordres de Rome. (p. 175 du Journal de France I )
p.9 Dans une lettre à son frère le 10 mars 1946 : Je connais les défauts du système monarchique, mais pour le peuple je crois que la monarchie est préférable à la république.
p.12-13 Le 22 février, le nonce fait bon accueil à René Benjamin, proche de l’Action Française, thuriféraire de Pétain, mis à l’index par le comité national des écrivains et il note : Ame ulcérée, mais d’intentions bonnes. (p. 331 du Journal de France I )
p. 15 : Le 28 octobre [1947] : A midi, j’ai reçu le vieux comte Karolyi, grand propriétaire hongrois [ex-chef du gouvernement en 1919 – puis en exil jusqu’en 1946] Il suit le sillage de Moscou. Je lui ai parlé clair, mais aimablement. Entre Karl Marx et Jésus-Christ l’accord est impossible. (p. 425 du Journal de France I )
p.15 : Le confesseur du nonce, lazariste, est appelé d’urgence à Rome ; il le remplace le 24 décembre par Mgr Baussart, l’une des victimes de l’épuration, qu’il n’avait cessé de fréquenter.
p.16 : De mauvaises nouvelles arrivent de Prague où le communisme fait irruption sans frein. Et le 27.02 : les événements de Prague font beaucoup penser à la tache bolchevique qui s’élargit. (p. 473 du Journal de France I )
Conservatisme liturgique et artistique
p. 3 Il multiplie les remarques critiques envers les liturgies à la française : laxisme dans le respect des rubriques et une tendance à transformer les cérémonies en concerts.
p. 3 Une hostilité à l’art religieux contemporain ; il préfère le roman et le gothique et a quelques faiblesses pour des formes ambiguës (Montmartre, Lisieux).
p.5 Le nonce n’omet jamais de noter sa tenue lors des réceptions ou des célébrations : en « mozette », en « mantelet », etc. avec des remarques "Assisté à la grand-messe et aux vêpres avec mitre et crosse... Spectacle réconfortant : les hommes viennent baiser mon anneau après le credo !" Le nonce a un goût prononcé pour les cérémonies solennelles. Pour la Ste Clotilde, il note : […] Musique excellente et de caractère triomphal.
p.13 : 14.03.1947 : Il confirme son aversion pour l’art moderne : Visite de l’expo d’art sacré moderne avec S. E. le cardinal Suhard au musée Galliera. Une véritable perversion du sens artistique. (p. 340 du Journal de France I )
Son antipathie à l’égard de la "Nouvelle Théologie"
p. 3 Il n’apprécie pas plus la nouveauté spirituelle que la nouveauté intellectuelle. […] On est frappé par la forte fréquentation des représentants d’un catholicisme intégral et intransigeant ; il s’inquiète notamment des orientations de la Compagnie de Jésus. [...] il faut voir en Mgr Roncalli un prélat classique, de modèle tridentin.
p.6 A l’évêque d’Autun, Mgr Lebrun, il écrit à son retour à propos des rencontres avec les communautés de Taizé : Franchement je ne me sens pas autorisé à encourager en principe des réunions dont votre Excellence vient de m’entretenir. On doit être bien aimable avec nos frères séparés. Mais je crois que des rapports individuels pourraient être un essai plus appréciable qu’une réunion de beaucoup de personnes. On sait comment on commence, on ne sait jamais comment on finit. (Archives diocésaines de Lyon)
p.11 Mgr Roncalli ne comprend pas Teilhard de Chardin, contre lequel le met en garde le thomiste rigide Jean Daujat. Outre ce dernier, on voit défiler chez lui plusieurs représentants des courants les plus intransigeants du catholicisme français. Dans la querelle de cette nouvelle théologie les jésuites H. Bouillard, J. Daniélou, Gaston Fessard et H. de Lubac font figure de principaux accusés.
p.12 Le 12 février Maritain, [ambassadeur de France près le St Siège] télégraphie qu’il a vu [Mgr] Tardini : […] : En ce qui concerne les griefs formulés par Votre Excellence à l’égard de certains candidats du nonce, Mgr Tardini a paru très surpris que certains d’entre eux eussent eu des liens avec l’Action Française. Il m’a dit qu’il attirerait l’attention du nonce sur ce point... Une des considérations que j’ai fortement fait valoir est que la situation toute nouvelle qui s’est créée en France à la suite de la guerre exige une compréhension, non seulement des nécessités pastorales, mais des besoins profonds de la nation que le cercle limité des fréquentations du nonce ne lui permet pas d’acquérir aisément.
p.13 : 17.05.1947 : J’ai reçu la visite de Maritain, ambassadeur auprès du St Siège. Nous nous sommes bien entendus : je l’ai vu avec plaisir bien orienté au sujet des extravagances intellectuelles qui troublent les ecclésiastiques en France. (p. 365 du Journal de France I )
p.14 : 13.06.1947 : Dans la soirée, audience […] de l’abbé Lefèvre, à qui j’ai donné 20.000 F. pour « La pensée catholique » (p. 374 du Journal de France I ) Ainsi le nonce aide financièrement cette revue intégriste, d’une façon qui n’est pas seulement symbolique.
p.15 Il manque complètement son unique rencontre avec le théologien M. D. Chenu mais continue de soutenir des personnalités notoirement conservatrices.
p.17 : d’Ormesson note dans son journal du 10 août 1948 : Là dessus Schuman m’a parlé du nonce Roncalli avec beaucoup d’agacement. Il m’a dit qu’il était très désagréable pour le gouvernement ; qu’il faisait des nominations d’évêques déplorables ; qu’il choisissait les sujets les plus médiocres et animés d’un esprit rétrograde. (Journal d’Ormesson 10 août 1948)
p.17 : Du 9 au 15 septembre [1948] il est à Rome, à la Curie où il discute des nominations qui bloquent ; on lui demande de rédiger lui-même certains rapports ; il recommande au substitut Mgr Montini le philosophe thomiste conservateur Jean Daujat et son centre d’études religieuses, ainsi que l’abbé Lefèvre, directeur de La Pensée Catholique, proche de l’intégrisme.
p.18 : Le 3 octobre [1948] : Discours du P. dominicain Chenu, certainement homme capable, pris lui aussi par la fièvre des « nouvelles structures ». (p. 554 du Journal de France I )