On dit souvent chercher vainement dans la littérature des exemples de cette pathologie désignée sous ce vocable récent.
Je suis tombé avant-hier sur ce portrait du comte de Mortsauf dans Le lys dans la vallée de Balzac, dont Félix de Vandemesse assume la narration:
"Mais si j’eus les délicieux bénéfices de cette naturalisation dans une famille où je trouvais des parents selon mon cœur, j’en eus aussi les charges. Jusqu’alors monsieur de Mortsauf s’était gêné pour moi ; je n’avais vu que les masses de ses défauts, j’en sentis bientôt l’application dans toute son étendue, et vis combien la comtesse avait été noblement charitable en me dépeignant ses luttes quotidiennes. Je connus alors tous les angles de ce caractère intolérable : j’entendis ces criailleries continuelles à propos de rien, ces plaintes sur des maux dont aucun signe n’existait au dehors, ce mécontentement inné qui déflorait la vie, et ce besoin incessant de tyrannie qui lui aurait fait dévorer chaque année de nouvelles victimes. Quand nous nous promenions le soir, il dirigeait lui-même la promenade ; mais quelle qu’elle fût, il s’y était toujours ennuyé ; de retour au logis, il mettait sur les autres le fardeau de sa lassitude ; sa femme en avait été la cause en le menant contre son gré là où elle voulait aller ; ne se souvenant plus de nous avoir conduits, il se plaignait d’être gouverné par elle dans les moindres détails de la vie, de ne pouvoir garder ni une volonté ni une pensée à lui, d’être un zéro dans sa maison. Si ses duretés rencontraient une silencieuse patience, il se fâchait en sentant une limite à son pouvoir ; il demandait aigrement si la religion n’ordonnait pas aux femmes de complaire à leurs maris, s’il était convenable de mépriser le père de ses enfants. Il finissait toujours par attaquer chez sa femme une corde sensible et quand il l’avait fait résonner, il semblait goûter un plaisir particulier à ces nullités dominatrices. Quelquefois il affectait un mutisme morne, un abattement morbide, qui soudain effrayait sa femme de laquelle il recevait alors des soins touchants. Semblable à ces enfants gâtés qui exercent leur pouvoir sans se soucier des alarmes maternelles, il se laissait dorloter comme Jacques et Madeleine dont il était jaloux. Enfin, à la longue, je découvris que dans les plus petites, comme dans les plus grandes circonstances, le comte agissait envers ses domestiques, ses enfants et sa femme, comme envers moi au jeu de trictrac. Le jour où j’embrassai dans leurs racines et dans leurs rameaux ces difficultés qui, semblables à des lianes, étouffaient, comprimaient les mouvements et la respiration de cette famille, emmaillotaient de fils légers mais multipliés la marche du ménage, et retardaient l’accroissement de la fortune en compliquant les actes les plus nécessaires, j’eus une admirative épouvante qui domina mon amour, et le refoula dans mon cœur. Qu’étais-je, mon Dieu ? Les larmes que j’avais bues engendrèrent en moi comme une ivresse sublime, et je trouvai du bonheur à épouser les souffrances de cette femme." [....) "Si telles étaient, pour elle, les joies du mariage, si de semblables scènes se renouvelaient souvent, comment pouvait-elle vivre ? Quel lent assassinat impuni ! Pendant cette soirée, je compris par quelles tortures inouïes le comte énervait sa femme. Devant quel tribunal apporter de tels litiges ? Ces réflexions m’hébétaient..."
Source:
https://fr.wikisource.org/wiki/Le_Lys_dans_la_vall%C3%A9e
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