Rappelons que dans cette même allocution, Pie XII dit clairement: « Ce qui ne répond pas à la vérité et à la loi morale n'a objectivement aucun droit à l'existence, ni à la propagande, ni à l'action. » Soit le contraire de ce qu'affirme Vatican II.
Tout ce que fait Pie XII, c'est dire que le droit (et même le devoir) de coercition des États catholiques contre la propagation de l'erreur n'est ni absolu ni sans limite: cela n'a rien de contraire à ce que dit la FSSPX ! En effet, les « circonstances particulières » (sic Pie XII) peuvent mener à tolérer l'erreur, mais c'est tout: ce n'est rien d'autre que la théorie de « la thèse et l'hypothèse » proposée par Mgr DUPANLOUP quant à l'application du Syllabus, théorie approuvée par Pie IX !
Par ailleurs, Mgr FELLAY donne le vrai sens de ces mots de Pie XII dans une conférence intitulée « Vatican II : la liberté religieuse face à la tolérance », au cours de la 8e université d’été d’apologétique, organisée par le district de France, qui se tenait à l’Ecole Sainte-Marie, à Saint-Père (Ille-et-Vilaine), du 12 au 16 août 2013, sur le thème « Qu’est-ce que la liberté sans la vérité ? » :
L'analyse la plus développée est celle de Pie XII dans son allocution du 6 décembre 1953 aux juristes italiens. Les tenants de la liberté religieuse s’appuient sur ce texte, plus précisément sur un paragraphe de cette allocution qui peut paraître étonnant. Encore une fois, il faut comprendre dans quelle perspective le pape se situait, et comment les conciliaires ont essayé de tirer à eux son argumentation.
« D’abord, il faut affirmer clairement qu’aucune autorité humaine, aucun Etat, aucune Communauté d’Etats, quel que soit leur caractère religieux, ne peuvent donner un mandat positif ou une autorisation positive d’enseigner ou de faire ce qui serait contraire à la vérité religieuse et au bien moral ».
Quand on dit “vérité religieuse” on comprend bien que ce n’est pas n’importe laquelle. Par vérité religieuse, on entend la vérité de la foi, la vérité catholique, ce n’est pas un fourre-tout religieux. De même pour le bien moral.
« Un mandat, une autorisation de ce genre n’auraient pas force obligatoire et resteraient inefficaces. Aucune autorité ne pourrait les donner parce qu’il est contre-nature d’obliger l’esprit et la volonté de l’homme à l’erreur et au mal ou de considérer l’un et l’autre comme indifférents » (Documents Pontificaux de Sa Sainteté Pie XII, 1953, éd. Saint-Augustin 1955, p. 614.)
Le libéralisme demande de donner à tous les mêmes droits : liberté de conscience, liberté de pensée, liberté de publier… Pie XII dit clairement que c’est contraire à la nature. Au Concile, vous trouverez dans la définition de la liberté religieuse : « Le droit à la liberté religieuse a son fondement réel dans la dignité même de la personne humaine » (Dignitatis humanæ, ch.1, n° 2.)
Ce sont là vraiment deux mondes, deux visions des choses que je dis réellement incompatibles. Pie XII affirme : « Même Dieu ne pourrait donner un tel mandat positif ou une telle autorisation positive parce que cela serait en contradiction avec son absolue véridicité et sainteté » (Pie XII, ibid. Donc même Dieu ne peut pas donner cette liberté indifférente à tous. Poursuivons notre lecture.
« Nous avons invoqué tantôt l’autorité de Dieu. Bien qu’il lui soit toujours possible et facile de réprimer l’erreur et la déviation morale, Dieu peut-il choisir dans certains cas de “ne pas empêcher” sans entrer en contradiction avec son infinie perfection ? Peut-il se faire que, dans des circonstances déterminées, Il ne donne aux hommes aucun commandement, n’impose aucun devoir, ne donne même aucun droit d’empêcher et de réprimer ce qui est faux et erroné ? Un regard sur la réalité autorise une réponse affirmative. – C’est Pie XII qui le dit – Elle montre que l’erreur et le péché se rencontrent dans le monde dans une large mesure. Dieu les réprouve ; cependant il leur permet d’exister. Donc l’affirmation : l’erreur religieuse et morale doit toujours être empêchée quand c’est possible, parce que sa tolérance est en ellemême immorale – ne peut valoir dans un sens absolu et inconditionné » (Pie XII, op. cit. p. 615.)
C’est délicat ; je vous relis cette phrase : « L’affirmation : l’erreur religieuse et morale doit toujours être empêchée quand c’est possible, parce que sa tolérance est en elle-même immorale – ne peut valoir dans un sens absolu et inconditionné ». Pie XII ajoute qu’il y a des situations de tolérance où écraser le mal n’est pas un précepte absolu :
« D’autre part, même à l’autorité humaine Dieu n’a pas donné un tel précepte absolu et universel, ni dans le domaine de la foi ni dans celui de la morale. On ne le trouve ni dans la conviction commune des hommes, ni dans la conscience chrétienne, ni dans les sources de la révélation, ni dans la pratique de l’Eglise. Pour omettre ici d’autres textes de la Sainte Ecriture qui se rapportent à cet argument, le Christ, dans la parabole de la zizanie, a donné l’avertissement suivant : “Dans le champ du monde, laissez croître la zizanie avec la bonne semence à cause du froment”. Le devoir de réprimer les déviations morales et religieuses ne peut donc être une norme ultime d’action. Il doit être subordonné à des normes plus hautes et plus générales qui, dans certaines circonstances, permettent et même font peut-être apparaître comme le parti le meilleur celui de ne pas empêcher l’erreur, pour promouvoir un plus grand bien ». (Ibid. p. 616)
Cette définition de la tolérance qui est un peu plus nuancée, pourrait de prime abord nous gêner. Mais il faut bien la comprendre, c’est tout.
« Par là se trouvent éclairés les deux principes desquels il faut tirer dans les cas concrets la réponse à la très grave question touchant l’attitude que le juriste, l’homme politique et l’Etat souverain catholique doivent prendre à l’égard d’une formule de tolérance religieuse et morale comme celle indiquée ci-dessus, en ce qui concerne la Communauté des Etats. Premièrement : ce qui ne répond pas à la vérité et à la loi morale n’a objectivement aucun droit à l’existence. - C’est le premier principe : il n’ y a pas de droit pour l’erreur. Il n’y a pas de droit pour le péché, pour ce qui est faux, ce qui est mauvais – ni à la propagande, ni à l’action ».
Vous avez bien entendu : « aucun droit à l’existence, ni à la propagande, ni à l’action. »
« Deuxièmement : le fait de ne pas l’empêcher par le moyen de lois d’Etat et de dispositions coercitives peut néanmoins se justifier dans l’intérêt d’un bien supérieur et plus vaste.
« Quant à la question de fait, à savoir si cette condition se vérifie – c’est-à-dire quand faut-il être tolérant ? – c’est avant tout au juriste catholique lui-même d’en décider. Il se laissera guider dans sa décision par les conséquences dommageables qui naissent de la tolérance, comparées avec celles qui, par suite de l’acceptation de la formule de tolérance, se trouveront épargnées à la Communauté des Etats… ».
Autrement dit, il y a toujours dans la tolérance le calcul d’éviter un mal plus grand. Que ce soit dans le sens de subir un mal plus grand ou dans celui d’éviter un mal plus grand, il y a toujours une question de mal à éviter. On va essayer d’éviter un plus grand dommage. La justification de la tolérance sera toujours celle-ci : essayer, dans les circonstances humaines qui ne sont pas faciles, d’éviter le plus grand dommage.
« … puis par le bien qui, selon de sages prévisions, pourra en dériver pour la Communauté elle-même en tant que telle, et indirectement pour l’Etat qui en est membre. Pour ce qui regarde le terrain religieux et moral, il (le juriste catholique) demandera aussi le jugement de l’Eglise. De la part de celle-ci, en de telles questions décisives, qui touchent la vie internationale, est seul compétent en dernière instance Celui à qui le Christ a confié la conduite de toute l’Eglise, le
Pontife Romain. »
Autrement dit, si le juriste catholique veut commencer à pratiquer la tolérance sur des questions religieuses, il doit consulter le pape. C’est ce que nous dit Pie XII.