2. La pureté de Marie
De la virginité de Marie l'attention des fidèles s'est portée sur sa sainteté. Marie est la toute-pure, la toute-sainte. S'il y a une qualité plus que les autres qui caractérise Marie, c'est la pureté : elle est l'Immaculée. Avant même de désigner le contenu de cette pureté de Marie, tournons-nous vers le mystère du Père; Dès que l'on parle de Marie et de ses privilèges, la crainte apparaît vite de faire trop de place à Marie et de faire offense à la gloire de Dieu. Il suffirait pourtant de repartir sans cesse du don de Dieu pour écarter cette crainte. Marie nous en donne l'exemple dans son Magnificat : "Le Puissant fit pour moi des merveilles ; Saint est son Nom." La pureté de Marie est une œuvre de pure grâce de la part de Dieu : reconnaître la pureté toute particulière de Marie, c'est glorifier la sainteté de Dieu. La prévenance de la grâce de Dieu en Marie est le sommet de sa miséricorde. C'est précisément parce qu'elle est la plus pure des créatures et la plus proche de Dieu que Marie sait mieux que tous que Dieu seul est saint.
Avant de tenter de cerner le mystère de la pureté de Marie, nous dirons quelques mots de la sainteté de Dieu, en fonction toutefois du mystère marial où elle se reflète. La sainteté n'est pas une perfection de Dieu parmi d'autres, mais bien plutôt la perfection qui assemble et noue toutes les autres. La sainteté de Dieu est son mystère même : Dieu EST Saint ! C'est son Être qui est sainteté. La sainteté est la vie même de Dieu. Dire de Dieu qu'il est Vivant, c'est déjà confesser sa sainteté. La sainteté est à la fois l'unité, la simplicité et la pureté de Dieu. La sainteté de Dieu, c'est d’abord le fait qu'il n'existe que pour se donner et en se donnant ; son Être est le don. L'Être de Dieu est l'acte pur du don : "Dieu est Amour" (1 Jn 4, 8). La sainteté de Dieu est en fin de compte son amour qui a pour nous le visage de la miséricorde. La sainteté de Dieu, c'est aussi le fait qu'il dissipe par son rayonnement toute forme de ténèbres ou de complication, tout ce qui est résistance au don. La sainteté de Dieu, c'est plus que tout l'efficacité irrésistible de l'amour qui s'imprègne en douceur au fond de tous les êtres. Il est dit de la sagesse de Dieu qu'elle pénètre tout à cause de sa pureté (Sg 7, 24). C'est bien ainsi que la sainteté de Dieu se communique à Marie.
LA FOI EN L'IMMACULEE CONCEPTION
Dès la fin du IVe siècle il était acquis dans l'enseignement de l'Eglise que Marie n'avait commis aucun péché au cours de sa vie, mais restait ouverte la question de la marque en elle du péché originel. C'est là qu'il y a eu une très longue histoire, comme le déploiement de la puissance d'un fleuve tranquille : la vie de prière des fidèles.
Dès le VIIIe siècle il y a eu en Orient une fête de la Conception de Marie, qui est passée en Italie du Sud et en Irlande au IXe siècle. Cette fête est attestée au sud de l'Angleterre au milieu du XIe siècle. On a ainsi longtemps fêté la conception de Marie, sans en expliciter les raisons. Cette fête se trouve mentionnée dans une homélie de Jean d'Eubée (Serm. in concep. Deiparae, 23.), puis dans une autre de Georges de Nicomédie (†880).
Dès la célébration de la Conception de Marie, il y a eu l’intuition que cet évènement qui était le commencement du salut, était déjà le lieu d’une plénitude de grâce. Le premier à affirmer que Marie n’avait pas été marquée par le péché originel fut Edmer de Cantorbéry (1064-1141), secrétaire d’Anselme de Cantorbéry, dans son traité sur la conception de Marie, début XIIe siècle (De conceptione sanctae Mariae) . Dans sa lettre aux chanoines de Lyon en 1140, saint Bernard, tout en s’opposant à la fête de sa conception, avait admis que Marie avait été rendue toute pure avant même sa naissance. Saint Bonaventure, sans s’y rallier, rapporte l’opinion de certains franciscains de son temps pour qui la Vierge Marie avait été au moment de sa conception, préservée du péché originel.
C’est le grand docteur franciscain Duns Scot (1265-1308) qui a vu dans la conception immaculée de Marie, une grâce prévenante qui est le sommet de l’efficacité de l’œuvre de rédemption de Jésus. Bien loin d’être une exception au besoin du salut, l’Immaculée Conception est donc le signe premier et suprême de la puissance de la Croix de l’unique Sauveur.
Ce qui éclaire le plus un mystère, c’est de partir du don de Dieu ; Ce que Dieu a donné à Marie avec l’existence, c’est qu’elle soit conçue sans péché : elle est l’Immaculée Conception, comme elle l’a dit à Lourdes à Bernadette, reprenant la formule définie par Pie IX en 19854. Le mystère de l’Immaculée est pur don de Dieu, une grâce de prévenance. La petite Thérèse écrivait que si un enfant se blessait, mais était soigné et guéri par son père, habile médecin, il lui en aurait beaucoup reconnaissance. Si le père parvenait à préserver l’enfant de toute blessure, l’enfant ne s’apercevrait de rien et n’aurait aucune gratitude alors qu’il en devrait bien plus (Thérèse de Lisieux, Manuscrits autobiographiques, Ms A, 38v° ; 39r°.). Mais si l’enfant venait à connaître le danger auquel il vient d’échapper, il l’en aimerait davantage.
De cette sainteté de Dieu qui est profusion de don, la grâce prévenante est le sommet. L’Immaculée Conception est la plus grande grâce que Dieu ait accordée à une pure créature. Le Dieu trois fois Saint a rendu Marie toute pure.
3. Marie, l’Immaculée Conception
Puisque la sainteté de Dieu élimine tout ce qui est résistance à l’amour et au don, l’Immaculée Conception est une grâce de disponibilité. Le péché de l’origine a laissé comme séquelles chez l’homme pécheur la crainte de Dieu le Père et la crainte du don. Marie est d’entrée de jeu encline à la confiance en Dieu et au don d’elle-même. En Marie, l’immaculée conception est une grâce tellement liée à l’origine qu’elle est comme sa nature la plus personnelle et la plus profonde. Non seulement elle a reçu la grâce de l’Immaculée Conception mais elle est l’Immaculée Conception, comme elle l’a dit à Bernadette à Lourdes le 25 mars 1958.
Le Père donne tout en Jésus et par lui, le Père s’adresse toujours à nous en nous envoyant son Fils. La grâce de l’Immaculée Conception a pour fin de faire de Marie la demeure digne du Fils de Dieu. Jésus est le seul homme qui ait voulu naître enfant et qui ait choisi sa mère. Obéissant au Père dans l’exécution de l’œuvre du salut, jésus a préparé lui-même sa mère à l’accueillir et à coopérer avec lui en tant que mère à l’accomplissement de sa mission filiale de salut. Il y a une unité simple de l’œuvre de Dieu. Certes Marie est la première des sauvés. Par la grâce de l’offrande de Jésus sur la Croix, elle fait partie de l’Eglise dont elle est la fille, elle est « membre suréminent et absolument unique de l’Eglise » (Concile œcuménique Vatican II, Constitution dogmatique sur l’Eglise Lumen Gentium). Mais on ne saurait dissocier l’Incarnation et la Rédemption : l’Incarnation est rédemptrice.
Le Père a envoyé son Fils pour le salut du monde. Si Marie est dès sa conception l’Immaculée, c’est bien pour qu’elle puisse d’entrée de jeu être associée à l’œuvre rédemptrice de Jésus qu’il inaugure dès son entrée dans le monde.
Marie l’immaculée est préservée dès sa conception de la faute originelle, puis confirmée en grâce. Elle n’a eu aucune inclination vers le péché, aucune complicité. Tout son être était adhésion simple et joyeuse à la volonté du Père. Elle est toute offrande d’elle-même, purement exposée à la grâce et envahie par elle. Le mot de l’ange le dit avec une force unique : « pleine de grâce », tout entière transformée en la grâce divine, toute graciée et toute gracieuse. En tout son être, en toute son âme, Marie est remplie et habitée par la grâce divine, par la présence de Dieu. Toute saturée de Dieu, sans que nulle place soit laissée à la résistance ou à la complication.
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5. Le Cœur immaculé de Marie
Le lieu de la pureté de Marie est le cellier le plus secret, la demeure la plus cachée, le centre le plus profond de son âme, en un mot son cœur. Il y a partie liée entre la pureté et l’intériorité. La pureté ne s’oppose pas seulement à la tache et à la souillure, mais aussi à la complication, à la division et à la superficialité. La pureté est le rayonnement de l’être vrai et simple. Pour Marie, son Cœur immaculé est sa personnalité, sa définition, son fond tout simple. Son cœur est le lieu de sa mémoire (Lc 2, 19 et 51). Elle garde en elle ce qu’elle aime. Son cœur ou son sein : c’est tout un, c’est l’espace de l’accueil maternel. Le chanoine Lallement notait avec une grande discrétion sa découverte mystique de l’âme de Marie : « J’ai vu dans une vision intellectuelle l’âme de la très sainte Vierge Marie comme un immense espace spirituel, vitalement vide de tout par grâce, totalement ouvert à la grâce ; créée par la Trinité pour être remplie de la Trinité, cette Âme bénie est toute donnée par la foi la plus pure à l’Amour salvifique » (Maurel et Huet de BAROCHEZ, Daniel-Joseph Lallement, un sage pour notre temps, t. II, p. 472.).
La même grâce encore relatée en termes plus précis : « L’âme très sainte de la Vierge m’apparut comme un vide vivant, immense, tout accueillant, rempli de la pleine essence du Dieu vivant, uniquement Pureté la plus parfaite, communion à la vie de Dieu […]. A la fois, en toute simplicité, inexistence propre et totalité d’union […] Don de soi qui ne se distingue pas du pur acte d’amour parfait révélé par Dieu. » (Ibid).
Le Cœur immaculé de Marie, c’est l’amour parfait avec lequel elle reçoit et transmet le don de Dieu.
Parler du Cœur immaculé de Marie, c’est évoquer un espace sans limite, non pas à la manière d’un territoire ou d’un contenant, mais plutôt dans le rayonnement de sa pureté ; c’est typiquement la forme de la maternité spirituelle de Marie. Toujours référée à la sainteté du Père, marie exerce sur nous une maternité virginale caractérisée par l’humilité et la douceur, le contraire d’une emprise. Le Cœur immaculé de marie est le fond de sa personnalité au long des évènements de sa vie et le mode de sa présence parmi nous aujourd’hui dans l’éternité. C’est l’être spirituel, la substance spirituelle de tous les actes d’amour que marie a posés au long de sa vie, le tout exprimant un acte unique et foncier d’obéissance et d’amour.
Le Cœur immaculé de Marie est le lieu de toute purification et de toute guérison. Il est enfin le lieu de la nouvelle naissance par la foi et le baptême. Par l’Assomption, Marie Immaculée est en son cœur le lieu vivant de l’Annonciation aujourd’hui.
« La maternité spirituelle de Marie »
« Femme, voici ton fils »
Père Jean-Claude SAGNE
Editions de l’Emmanuel pages 69 à 76.