Je vous cite:

" Cela illustre bien une vérité historique : soit on accepte la primauté spirituelle de l'évêque de Rome, soit on subit la primauté séculière de César. "

L'Eglise grecque-catholique relève peut-être le niveau - j'ai bien dit peut-être - mais je ne suis pas sûr que vous releviez le niveau en ecclésiologie ...

Je vous laisse reprendre les relations entre les deux pouvoirs - auctoritas et potestas - à commencer par la distinction gélasienne des pouvoirs, nous sommes à la toute fin du Ve siècle:

" Il y a deux principes (deux principats), Empereur Auguste, par qui ce monde est régi (au premier chef) : l'autorité sacrée des pontifes et la puissance royale, et des deux, c'est la charge des prêtres qui est la plus lourde, car devant le tribunal de Dieu ils rendront compte même pour les rois des hommes. Vous savez en effet, Fils très clément, que, bien que vous régniez sur le genre humain, vous courbez avec dévotion la tête devant ceux qui président aux choses divines, et que vous attendez d'eux les moyens de votre salut."

Oui, vous avez bien lu: deux pouvoirs pour régir le monde chrétien, tel qu'il existe aux yeux de Gélase, deux pouvoirs qui s'équilibrent et non deux sphères qui s'affrontent pour conquérir je ne sais quelle suprématie ou souveraineté.

Vous pourriez tirer profit de la lecture d'un ouvrage fondamental, celui d'Y. Congar, L'ecclésiologie du haut Moyen Age (Le Cerf, 1968). Si Congar vous fait peur, prenez les premiers chapitres du "De Institutione regia" de Jonas d'Orléans (vers 830); le traité est disponible en français (Le métier de roi aux éd. du Cerf, dans la collection des Sources Chrétiennes). D'ailleurs de nombreux conciles qui eurent lieu au sein de l'empire carolingien ne font qu reprendre le texte de Jonas, ainsi le Concile de Paris en 829, concile dont Jonas, évêque d'Orléans, fut le principal rédacteur:

Cap. III. Quod ejusdem ecclesiae corpus in duabus principaliter dividatur eximiis personis. (Titre du canon, 610, 32)

"Principaliter itaque totius sanctae Dei ecclesiae corpus in duas eximias personas, in sacerdotalem videlicet et regalem ." (610, 33)

Deux personnes éminentes régissent le corps de l'Eglise: la personne du prêtre et celle du roi. A noter que "persona" signifie non seulement la personnalité ou le personnage mais également la dignité.


L’ecclésiologie de Jonas


Deux cités selon Jonas, la cité céleste, éternelle, et la cité terrestre qui est transitoire ; nous y sommes en exil, comme en voyage (peregrinatio). Les chrétiens vivent dans cette cité terrestre et doivent en observer les lois ; bien qu’ils aspirent à la cité céleste, ils ont à vivre en ce monde, selon la volonté divine. Il s’agit de réaliser déjà la cité de Dieu sur la terre.

L’Eglise visible est universelle (catholique). Elle comprend la totalité des croyants et se confond avec l’empire franc, qui devient ainsi la manifestation politique de l’universalisme chrétien.

Au "mundus" de Gélase s’est substitué l’"universalis Ecclesia" et la "christianitas". Les croyants sont les membres du corps mystique dont le Christ est la tête, et qui comprend l’ensemble du "populus Dei" ou "plebs Christi". Ceux qui se sont séparés du corps du Christ par le péché se retrouvent dans le "corpus diaboli" ; ils ne peuvent être réintégrés au sein de l’Eglise que par la pénitence. D’où l’importance de l’épiscopat dans sa fonction de médiateur dans l’exclusion ou le retour dans la communauté chrétienne.


De même que les évêques ont un ministère, c’est-à-dire qu’ils ont à remplir un office ou un service que Dieu leur a confié, de même le roi détient un ministère qui lui a été aussi confié par Dieu. Celui-ci est dans l’Eglise, et non au-dessus ; bien que laïc, il occupe une position particulière dans la société du fait de son principat. Si l’empire franc s’identifie à l’universalisme chrétien, cela signifie-t-il que l’Etat est dans l’Eglise ? Non, pour reprendre la formulation de saint Optat de Milève, l’Etat n’est pas plus dans l’Eglise que celle-ci n’était auparavant dans l’Etat. Il est plus juste d’affirmer que les rois sont dans l’Eglise parce qu’ils sont des fidèles de l’Eglise, des fidèles à qui une mission a été confiée par Dieu, des "personae" (personnalités, personnages publics, des dignitaires : voilà le vrai sens du mot persona dans le contexte politique) qui dirigent l’Etat ou doivent promouvoir la "Respublica christiana". Ils ont pour mission de veiller sur le peuple des fidèles. La chrétienté s’organisant dans une réalité politique, l’empire franc, ce dernier ne se justifie que pour défendre la communauté des chrétiens, le "populus Dei", contre ses ennemis de l’extérieur, les païens, et ceux de l’intérieur, les hérétiques. D’où la préoccupation constante de Charlemagne de repousser toujours plus loin les frontières de l’empire, pour augmenter le nombre des fidèles. Garantir la stabilité de l’empire revient à maintenir l’unité de la chrétienté, l’unité et la stabilité étant la condition de la "libertas ecclesiae" que revendiquent les évêques réunis à Paris sur l’ordre de Louis le Pieux (829). Cette liberté permet aux évêques d’accomplir leur ministère ; cela implique que le roi ou l’empereur n’intervient pas, théoriquement, dans les affaires ecclésiastiques.

Aussi n’est-il pas étonnant de voir un opposant modéré à la réforme grégorienne, Hugues de Fleury, reprendre, au tout début du XIIe siècle, la teneur des propos de Jonas :

« Le ministère du roi est donc de corriger de son erreur le peuple qui lui a été confié et de le ramener sur le chemin de l’équité et de la justice. C’est pourquoi tu trouveras encore dans le livre des Juges que, avant que les fils d’Israël aient un roi, Jonathas, fils du fils de Moïse, fut, bien qu’il fût considéré comme un lévite, prit pour lui le sacerdoce :

- Parce que chacun, dit-il, faisait ce qui lui plaisait, pour la raison qu’il n’y avait pas de roi en Israël.

De ces paroles il apparaît clairement que, là où il n’y a pas de roi pour régir le peuple, pour le ramener de sa témérité et le conduire, le corps tout entier du royaume est ébranlé. D’où on a l’habitude d’appeler, à juste titre, roi celui qui sait convenablement gouverner ses mœurs et bien ordonner à lui ses sujets. Pour cette raison, dis-je, Dieu tout-puissant est connu pour avoir préféré à tous les autres hommes le roi, qui a en commun avec ceux-ci la condition de naître et de mourir, de telle sorte que, par la frayeur qu’il lui inspire, il empêche le peuple qui lui a été soumis de faire le mal, et qu’il le soumet aux lois afin qu’il vive dans la droiture. Conséquence : le royaume céleste avance souvent par le royaume terrestre, car ce que le prêtre ne peut efficacement produire par sa parole doctrinale, le pouvoir du roi le réalise et le commande par la terreur de la discipline. En effet, le peuple est facilement corrigé par la crainte que lui inspire le roi. Mais le roi n’est nullement détourné du chemin de l’injustice si ce n’est par la seule crainte de Dieu et par le feu de la Géhenne ("Traité du pouvoir royal et de la dignité sacerdotale")."

Voilà quelques éléments de réflexion qui je l'espère vous seront utiles.

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