J'ai lu el famoso Des soutanes et des hommes de Josselin Tricou.
Vu qu'il a très décrié ici, je commence d'emblée : l'ouvrage a des faiblesses.
La préface d'Eric Fassin, évoquant le dernier chapitre, lance l'idée d'un racisme structurel contre les prêtres d'origine africaine qui desservent les paroisses françaises : le dernier chapitre évoque cette question si brièvement qu'on ne voit pas le lien qui pourrait être fait avec le sujet de l'ouvrage, et la préface d'Eric Fassin, c'est encore "pire". C'est pour moi la plus grosse critique, au sens où on a l'impression d'un ajout d'un élément "woke" juste parce que le sujet est à la mode, mais ça fait un peu cheveu sur la soupe - alors que la question aurait pu être étudiée plus complètement, j'y reviendrai à la fin.
Une autre critique importante repose sur le fait que l'auteur se défend de confondre "absence perçue de masculinité" ou "mode d'expression minoritaire de la masculinité" avec l'homosexualité, mais que dans les fait, eh bien, il les mélange quand même. En ce sens, son livre est très intéressant sur la manière dont certains groupes de prêtres affirment leur virilité, mais du coup laisse entendre des choses sur leur éventuelle homosexualité qui est un peu fragile.
Lorsque la question est ouverte dans le lieu qu'il étudie, cela ne pose pas trop de problèmes : le chapitre sur le couvent d'un ordre ancien où la question est assumée et où le régime choisi est celui qu'il appelle "de l'égalité des voeux" est extrêmement intéressant.
Mais cela rend problématique un autre chapitre, celui qui porte sur une communauté qu'il n'est pas difficile de reconnaître comme la Communauté Saint-Martin. Certains éléments de ce chapitre sont très intéressants : il relève des éléments de langage d'affirmation de la virilité, et la définition d'un modèle de prêtre "viril", par opposition à plusieurs modèles (le séminariste baba-cool catho de gauche en sandales, ou le prêtre intello formé au séminaire de Paris) ; il relève que la question de l'homosexualité semble "écrasée" par celle de la virilité, comme s'il allait de soi que la seconde question résolvait naturellement la première, ce qui est, là encore, intéressant (évidemment ce n'est pas le cas : il y a des homosexuels très virils, ou qui surjouent la virilité) ; mais il me semble qu'il devrait se borner à cela, alors que son chapitre laisse entendre plus.
Il me semble qu'il y a un gros manque sur la question de la manière dont les prêtres des communautés nouvelles, charismatiques, expriment leur masculinité : il liquide la chose en quelques pages, alors qu'il me semble qu'il y a là au contraire quelque chose qu'il aurait dû creuser, des éléments plus originaux et intéressants.
De façon générale, je pense que l'ouvrage souffre d'avoir été construit sur des enquêtes de terrain aux alentours de 2012-2014, à une époque où les questions de genre étaient très très sensibles un peu partout dans l'Eglise en France, d'une part, ce qu'il explique et assume bien, mais aussi où il y avait de l'autre côté, où lui se situe visiblement, une polarisation inverse, qu'il semble moins clairement expliciter. De ce fait, il y a un poil de militantisme dans certaines lectures qui me semble dommageable. Il me semble que des enquêtes de terrain, dans un climat plus apaisé (pas celui d'aujourd'hui, plombé par les histoires d'abus sexuels et qui va probablement le rester pendant plusieurs mois), seraient plus intéressantes aujourd'hui.
Cela dit, cela reste extrêmement intéressant, et je ne regrette pas de l'avoir lu. Les éléments sur l'histoire de la perception du prêtre et de sa masculinité dans la société sont extrêmement intéressantes, et le chapitre (en fait une reprise d'un article publié ailleurs) sur l'évolution de l'image du prêtre au cinéma est passionnant. Avec les réserves évoquées plus haut, les chapitres sur le couvent "d'un ordre ancien", celui sur la communauté Saint-Martin sont également très intéressant ; et si l'on fait abstraction de ce qui porte sur le racisme, ce qu'il écrit sur le Padreblog est également très intéressant.
D'une certaine manière je trouve qu'il manque en fin d'ouvrage un chapitre qui viserait à éclairer s'il y a, ou pas, une expression particulière de la masculinité par le clergé d'origine africaine en France, mais il faudrait commencer par définir "clergé d'origine africaine" (issu de l'immigration ? Fidei Donum ? Quid du cas des Antillais ?), ce qu'il ne fait pas ou trop peu quand il évoque le sujet.