(Plorate, fratres)
Ils lui ont donné des cours, ils l’ont aidé, et même hébergé à Nantes. Ils gardent d’Emmanuel Abayisenga une image différente de ce que racontent l’incendie de la cathédrale Saint-Pierre et Saint-Paul, et l’homicide du père Olivier Maire lundi 9 août 2021, en Vendée. Témoignage.
Emmanuel Abayisenga, suspecté de l’incendie de la cathédrale de Nantes en juillet 2020. Emmanuel Abayisenga, accusé du meurtre d’un prêtre, mort de coups à la tête et retrouvé lundi 9 août 2021, dans la communauté Montfortains de Saint-Laurent-sur-Sèvre en Vendée. « Il y a un tel décalage avec l’homme que l’on a connu… Comment a-t-il pu se retourner contre ce qu’il aimait tant ? L’Église était son monde, son appui. »
Au mitan des années 2010, Odile et Didier Brousse, très impliqué dans le tissu associatif local, ont hébergé à Nantes le Rwandais de 40 ans qui s’accuse du meurtre du père Olivier Maire, dont les obsèques vont être célébrées ce vendredi 13 août 2021 à 14 h 30 en la basilique de Saint-Laurent-sur-Sèvre. « On ne recevait pas un demandeur d’asile mais un ami. » C’est cet homme dont ils veulent parler. « C’est important pour nous après les polémiques qui ont jailli et les torrents d’horreurs entendus. »
Ils l’avaient rencontré peu après son arrivée en France en 2012, à travers une association caritative. Leur nièce, Cécile Murray, lui donnait des cours de Français. « Il était extrêmement volontaire, respectueux, à l’écoute. Il voulait obtenir ses papiers pour avoir le droit de travailler. »
Il a multiplié les demandes de régularisation auprès de la préfecture. « Bénévole dans différentes structures, très impliqué dans le diocèse, il avait tout un réseau autour de lui. Il a présenté des attestations pour appuyer sa demande de papiers. » Odile décrit d’un homme qui, alors, allait bien « à chaque demande, il y croyait. Ça le portait. »
« Une blessure à chaque fois »
Cécile Murray, actuellement en Afrique du Sud pour une mission humanitaire, l’a accompagné dans ses démarches. Elle connaît son histoire au Rwanda. Elle connaît l’homme et ce qu’il a vécu « lorsqu’il était policier là-bas, puis sa fuite. » Odile complète : « Il parlait peu de cette période mais il a grandi dans la violence. Mais il avait des fragilités. Psychologiques et physiques. »
Un document exhumé par Le Parisien explique pourquoi, en 2017, le tribunal administratif n’avait pas appliqué une obligation de quitter le territoire français (OQTF). « L’état de santé de Monsieur Abayinsenga nécessite une prise en charge médicale dont le défaut peut entraîner des conséquences d’une exceptionnelle gravité (pour lui-même) », expose à l’époque un médecin de l’Agence régionale de santé.
Odile se souvient : « Il avait des ennuis de santé, de surdité et de vue. Après cette visite médicale, il avait bon espoir d’obtenir ses papiers et d’être soigné. » Espoir déçu, encore. « C’était une vraie blessure à chaque fois. Cela signifiait pour lui qu’on ne le croyait pas. »
Taciturne, triste, confus
Les proches notent un basculement après l’agression subie le 31 décembre 2018, sur le parvis de la cathédrale Saint-Pierre et Saint-Paul. « Il est venu nous voir quelques jours après, reprend Odile Brousse. Et je m’en veux parce que je n’ai pas pris le temps de l’écouter, j’étais alors occupée… » L’homme change. « Il devient taciturne, triste, confus dans ses propos. »
« C’est quelqu’un qui est resté huit ans sans papier, à survivre comme il pouvait. L’impossibilité d’être régularisé et l’agression l’ont fait tomber », pense Cécile Murray, « sans jamais excuser ce qu’il s’est passé. Mais il faut comprendre que cela ne vient pas de nulle part. Et que cet homme ne résume pas à deux actes, aussi inexcusables soient-ils. »
Il allait le voir en détention
Aumônier à la maison d’arrêt de Nantes, Didier Brousse a visité Emmanuel Abayisenga pendant sa détention provisoire pour l’incendie de la cathédrale. « Je ne l’ai pas reconnu. Il était incapable de parler des faits. Sa santé se détraquait, il ne pouvait plus manger, sauf de la purée. Ça n’allait pas, c’est évident. » Il ignore s’il était suivi. « Ils lui donnaient des tranquillisants, mais pour le reste… »
S’il devait être à nouveau incarcéré, il retournerait à sa rencontre. « À l’image des frères de la communauté vendéenne qui lui ont tendu la main malgré tout, je pense que ce n’est pas dans ces moments qu’il faut tourner le dos à quelqu’un. »