Je n'ai vu nulle part dans le texte cité que Mgr Lefebvre veuille que l'Eglise soit soumise à l'Etat. Bien au contraire, il s'emploie à réfuter une telle erreur.
Pour ce qui est de l'article III de Dignitatis Humanae, Mgr Lefebvre l'a réfuté tout comme l'article II. Je ne l'avais pas cité pour ne pas alourdir une citation déjà bien longue, mais voilà :
D) – Analyse de l’Article III.
Troisième raison :
[Le Concile reconnaît à la personne humaine le droit à la liberté religieuse (cf. 3°, page 13), réponse :]
Le document D.H. a omis toutes les distinctions nécessaires pour qu’il soit admissible : Qu’entend-on par la liberté religieuse lorsque l’on dit que la personne humaine a le droit à la liberté religieuse. Déjà telle quelle, cette phrase est ambiguë, on ne peut avoir de droit moral que pour la vérité et non pour l’erreur. A supposer qu’il s’agisse d’un droit civil, il ne peut être que l’expression d’une tolérance et non d’un droit strict. C’est ce que dit le Pape Léon XIII dans son Encyclique « Libertas ».
Les raisons données pour ce droit de la personne humaine confondent la liberté naturelle ou psychologique et la liberté morale. Les débuts de l’Encyclique « Libertas » sont très clairs à ce sujet. La liberté naturelle est la liberté considérée dans son essence sans la considération de la fin qu’elle doit poursuivre.
Dès lors qu’elle entre en exercice, elle accomplit des actes humains qui tombent sous la loi et ont un aspect moral qui place la liberté sous une autorité, qui n’est autre que celle de Dieu à laquelle participent toutes les autorités humaines, chacune dans ses limites.
L’exercice de cette liberté s’étend à des actes divers, que le document D.H. passe sous silence. On doit distinguer les actes internes et les actes externes, les actes externes privés et les actes externes publics.
Tous ces actes tombent sous l’autorité de Dieu. Pour les catholiques l’Église a un pouvoir soit au for interne soit au for externe selon ce qu’exprime le Droit Canon. La famille a un droit sur les actes externes privés et publics des enfants avant leur majorité. L’État a un devoir et un droit sur les actes externes publics, dans leur rapport avec le bien commun, qui ne peut se concevoir sans relation avec la seule vraie religion.
De nombreux documents du Saint-Siège expriment ces devoirs et ces droits, la pratique de l’Église le confirme par les concordats, par le rappel constant des devoirs des Chefs d’État vis-à-vis de la seule et unique vraie religion.
Ce paragraphe 3 implique la neutralité de l’État, si celui-ci doit admettre « la profession même publique d’une religion ». Cette affirmation est inconcevable car cela signifie la profession publique de l’erreur. Le document D.H. est très explicite en effet sur ce sujet. Le paragraphe 4 de D.H. est absolument scandaleux et contredit tout l’enseignement de l’Église. « La liberté religieuse demande en outre que les groupes religieux ne soient pas empêchés de manifester librement l’efficacité singulière de leur doctrine pour organiser la société et vivifier toute l’activité humaine. » (D.H. 4.)
Aucun catholique, digne de ce nom, ne peut souscrire une pareille infamie.
Citation de Grégoire XVI « Inter praecipuas » – 8 mai 1844 :
« Il nous est prouvé par des messages et des documents reçus il y a peu de temps que des hommes de sectes diverses se sont réunis l’an dernier à New York en Amérique et à la veille des ides de juin, ont formé une nouvelle Association dite de l’ « Alliance Chrétienne », destinée à recevoir dans son sein des membres de tous pays et de toute nation et à se fortifier par l’adjonction ou l’affiliation d’autres sociétés établies pour lui venir en aide, dans le but commun d’inoculer aux Romains et aux autres peuples de l’Italie, sous le nom de Liberté Religieuse, l’amour insensé de l’indifférence en matière de Religion… Résolus donc de gratifier tous les peuples de la liberté de conscience ou plutôt de la liberté de l’erreur,… ils croient ne rien pouvoir, si d’abord ils n’avancent leur œuvre auprès des citoyens Italiens et Romains, dont l’autorité et l’action sur les autres peuples leur serait un secours tout puissant. »
Qu’entend-on par « coercitio » ?
Il y a la contrainte physique et la contrainte morale. Ces contraintes sont toujours employées dans toute société pour ceux qui s’opposent à l’application des lois. Si les lois sont justes et conformes au droit divin naturel et positif, il est juste que le législateur fasse observer la loi par la contrainte morale d’abord, la crainte des châtiments et ensuite par la contrainte physique, ceci à l’image de Dieu lui-même.
Si les gouvernements catholiques accomplissent leur devoir, comme l’ont demandé tous les Papes, ils ont le devoir de favoriser la religion catholique et donc de la protéger, dans toute la mesure du possible, contre les fausses religions, contre l’immoralité, le scandale des mœurs de ces religions dépravées, et cela non seulement dans l’intérêt de la religion catholique, mais de leur propre unité et subsistance.
C’est ce que l’Église et les gouvernants catholiques ont toujours compris et professé. Il serait injurieux pour l’Église et les gouvernants qui ont mis ces principes en pratique de faire croire qu’ils ont ignoré la « transcendance de la personne, le mode connaturel de tendre à la vérité et la liberté de l’acte de foi ». Le document D.H. appelle cela la dignité humaine.
E) – Jugement au sujet de cet article III.
1 – L’article III est contraire aux documents du Magistère de l’Église.
Ces conclusions sont celles qui sont constamment affirmées dans les Documents Pontificaux. Nous donnons quelques références, ci-après :
Articles 77 et 78 du « Syllabus ».
77 – Il n’est plus utile, à notre époque, que la religion catholique soit considérée comme l’unique religion de l’État, à l’exclusion de tous les autres cultes.
78 – Aussi c’est avec raison que dans quelques pays catholiques, la loi a pourvu à ce que les étrangers qui s’y rendent y jouissent de l’exercice public de leurs cultes particuliers.
Les Propositions IV et Y du Synode de Pistoie condamnées par Pie IX dans la Bulle « Auctorem Fidei ».
Références nombreuses à ce sujet dans le Recueil des Documents Pontificaux de Solesmes : « La Paix intérieure des Nations », en particulier à la table logique : « Le Libéralisme Politique » et « La Cité chrétienne ».
2 – L’article III est contraire à la pratique constante de l’Église.
D’autre part si le paragraphe 3 est vrai, il condamne le Saint-Office « Sanctum Officium Inquisitionis » qui a été fondé pour la défense de la foi catholique et qui n’a jamais hésité à faire appel au bras séculier contre les hérétiques notoires et scandaleux.
L’affirmation de ce No 3 qui résume en effet le document D.H. est donc contraire non seulement à toute pratique séculaire du Saint-Office dont le Pape a toujours été personnellement le Préfet, et à tout le Droit public de l’Église, théorique et pratique.
Voici aussi des références à ce sujet :
Voir : Fontes selecti Historiae juris publici ecclesiastici – Ecclesia et Status de Lo Grasso – Romae – Universitas Gregoriana – N° 26 – N° 52 (St Augustin sur la coaction) N° 53, 54.
Bulle « Inter Coetera » Alexandre VI N° 559 – N° 707, 708.
Devoirs des Princes N° 710 – Devoirs de l’État envers Dieu et envers l’Église 793. 4. 825.
3 – L’article III est contraire au Droit public de l’Église.
Silvio Romani – Elementa juris Ecclesiae publicis fondamentalis – De Ecclesia et civitate, page 252 – ainsi que toute la bibliographie au début de l’ouvrage.
Le Droit public de l’Église fondé sur les principes les plus élémentaires de la Révélation et de la théologie, exige des États païens qu’ils admettent la Mission de l’Église et la liberté de son enseignement, et des États catholiques qu’ils aident l’Église dans son devoir de sanctifier et gouverner les fidèles et de protéger leur foi contre les scandales des erreurs de l’hérésie et de l’immoralité.
Demander aux gouvernants de laisser la liberté de l’erreur, la liberté des cultes, c’est leur imposer la neutralité, le laïcisme, le pluralisme qui finit toujours par profiter à l’erreur. Les Documents Pontificaux sont formels à ce sujet.
F) – Conséquences désastreuses de l’abandon de la doctrine traditionnelle de l’Église concernant les devoirs de la cité par rapport à l’Église.
– Interventions du Saint-Siège pour la liberté des fausses religions, par la suppression dans les Constitutions des États catholiques du premier article exprimant que seule la Religion catholique est officiellement reconnue comme religion de l’État.
Exemples de la Colombie, de l’Espagne, de l’Italie, des États suisses du Valais et du Tessin, où les Nonciatures ont encouragé ces États à supprimer cet article de leurs Constitutions.
– Intervention du Saint-Père lui-même dans le discours après le Concile et à l’occasion de la réception officielle au Vatican du Roi d’Espagne s’appuyant sur le document de la Liberté Religieuse :
« Que vous demande l’Église aujourd’hui ? Elle vous l’a dit dans un des textes majeurs du Concile : elle ne vous demande que la liberté. »
On ne peut s’empêcher d’y voir un écho aux affirmations de Lamennais lors de la fondation de son journal « L’Avenir » (Dictionnaire de Théologie Catholique, L. 9 – 1e colon. 526-527) :
« Beaucoup de catholiques en France aiment la liberté. Que les libéraux s’entendent donc avec eux pour réclamer la liberté entière, absolue d’opinion, de doctrine, de conscience, de culte, de toutes les libertés civiles sans privilège, sans restriction. D’un autre côté que les catholiques le comprennent aussi la Religion n’a besoin que d’une chose : la Liberté. »
Il suffit de lire le livre de Marcel Prélot « Le Libéralisme catholique » édité en 1969 pour voir le parti qu’ont tiré les libéraux de ces affirmations.
La condamnation de Lamennais par le Pape Grégoire XVI dans son Encyclique « Mirari vos » manifeste l’opposition entre les prédécesseurs de Paul VI et Paul VI lui-même.
A ces déclarations font écho les paroles du Cardinal Colombo de Milan. « Lo stato non puo essere altro che laïco. » Je n’ai pas entendu dire que la Congrégation pour la foi l’ait réprimandé.
– La logique de cet abandon entraîne les États même catholiques à adopter des lois contraires au Décalogue, sous la pression des fausses religions, sous le prétexte de ne pas les brimer dans leur morale.
Conclusion.
Ce point est d’une importance majeure. S’il s’agissait simplement de constater l’obligation imposée par les faits d’une tolérance religieuse, on pourrait encore l’admettre.
Mais admettre que cette liberté religieuse est basée sur un droit naturel, cela est absolument contraire à la nécessité du salut éternel fondé sur la foi catholique, sur la Vérité.
Enlever au législateur le moyen d’appliquer sa loi, surtout lorsqu’il s’agit de ce qui importe le plus au salut des âmes, c’est rendre la foi inefficace. Admettre qu’on puisse impunément braver la loi du salut des âmes, la mettre en échec, c’est l’anéantir, c’est rendre impuissants les gouvernements catholiques dans l’accomplissement primordial de leur tâche.
« Allez trouver le Roi (Louis XVIII), dit le Pape Pie VII à Monseigneur de Boulogne, Évêque de Troyes, dans sa Lettre Apostolique « Post tam diuturnas », faites-lui savoir la profonde affliction… dont notre âme se trouve assaillie et accablée par des motifs mentionnés. Représentez-lui quel coup funeste pour la religion catholique, quel péril pour les âmes, quelle ruine pour la foi serait le résultat de son consentement aux articles de la dite Constitution (22e, 23e art. Liberté des cultes et de presse)… Dieu lui-même aux mains de qui sont les droits de tous les royaumes et qui vient de lui rendre le pouvoir… exige certainement de lui qu’il fasse servir principalement cette puissance au soutien et à la splendeur de son Église. »
Ce n’est malheureusement pas ce langage que le Pape Paul VI a tenu au Roi d’Espagne.
C’est donc en définitive parce que nous croyons à l’infaillibilité des Papes lorsqu’ils proclament des vérités maintes fois affirmées par leurs Prédécesseurs que nous ne pouvons pas admettre le paragraphe No. 3 de la Liberté Religieuse tel qu’il est rédigé dans l’Annexe.
Tout comme la réfutation de l'article II, cette réfutation de l'article III de Dignitatis Humanae n'a pas été contredite par la congrégation pour la doctrine de la foi. Les 3 conclusion qu'on pouvait tirer de la réfutation de l'article II s'en trouvent bien évidemment confirmées.