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L’œcuménisme en Révolution (6) : Le presbytérianisme, aller et retour
par Peregrinus 2019-06-02 15:57:48
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Comme on l’a vu dans l’épisode précédent, l’accusation de presbytérianisme, qui assimile les doctrines et les pratiques du clergé assermenté à une ecclésiologie d’inspiration protestante, occupe une place importante dans les écrits de controverse composés par les adversaires de la Constitution civile du clergé. La disqualification par réduction au protestantisme est cependant rejetée par les apologistes de la réforme. Pour blanchir le décret de tout protestantisme larvé, Louis Charrier de La Roche, chanoine à Lyon et par la suite évêque constitutionnel de la Seine-Inférieure, entend ramener le presbytérianisme à sa stricte définition :

N’a-t-on pas poussé l’injustice & la calomnie jusqu’à publier qu’on vouloit introduire en France le régime Presbytérien ? Il faut que les Auteurs de ces rêveries, ignorent, ou n’ayent jamais lu dans l’Histoire ce que c’est que le Presbytéranisme. Les Sectateurs de cette doctrine forment une Secte en Écosse, qui avoit aboli sous Jacques I, & refusé de reconnoître l’ordre Épiscopal ; & dont les Églises sont gouvernées par les anciens nommés en grec Presbyteri. On voit par-là quelle ressemblance il y a entre ce régime acatholique, & la Constitution civile de notre Clergé (1).


Le raisonnement de Charrier de La Roche est donc simple : le presbytérianisme refuse l’existence de l’épiscopat ; or la Constitution civile reconnaît des évêques ; donc elle ne peut être presbytérienne. On le voit, l’apologiste du décret ne justifie nullement la réforme par un souci de rapprochement avec les schismatiques et les hérétiques, mais s’efforce au contraire de se démarquer radicalement des sectes protestantes. Henri Grégoire s’attache quant à lui à montrer que la nouvelle organisation préserve la supériorité de l’épiscopat sur les prêtres de second ordre :

Il est absurde de dire que [les] vicaires [épiscopaux] seront évêques en corps. Fussent-ils mille prêtres, jamais ils ne pourroient conférer la prêtrise. Ils seront, suivant la dénomination reçue, le sénat de l’évêque, qui sera tenu de délibérer avec eux sur le gouvernement du diocèse et du séminaire (2).


Pour Grégoire, l’épiscopat ne souffre donc aucune atteinte dès lors que sa supériorité selon l’ordre est préservée. Le risque est grand toutefois de réduire dès lors l’évêque à son seul rôle de collateur des sacrements de l’ordre et de la confirmation : ce n’est donc pas sans raison que les écrivains réfractaires ont dénoncé la possible dérive anti-épiscopale de l’Église constitutionnelle.

Cette dérive, combattue il est vrai par la plupart des évêques constitutionnels soutenus par le Comité ecclésiastique de l’Assemblée (3), est réelle, surtout à partir de 1792 ; les membres des conseils épiscopaux, souvent très politisés, se signalent par leur insubordination et prétendent parfois soumettre à leur censure les actes de l’administration épiscopale, à tel point qu’ils sont à leur tour taxés de presbytérianisme. L’accusation est balayée avec désinvolture par le très radical abbé Tolin, vicaire épiscopal de Grégoire dans le Loir-et-Cher. « On a beaucoup plus à appréhender de l’épiscopisme, c’est-à-dire de l’autorité capricieuse d’un seul », écrit Tolin (4).

Ainsi, lorsque les « évêques réunis » autour de Grégoire entreprennent après la Terreur de reconstruire l’Église constitutionnelle, ils abandonnent sans regret l’institution des conseils épiscopaux. « Nous condamnons expressément le presbytérianisme », déclarent-ils dans leur encyclique au clergé français (5). Le concile national tenu à Paris en 1797 réitère et explicite cette condamnation :

Nous condamnons, avec l’église, l’erreur d’Arius et des Presbytériens, comme éversive de la hiérarchie, comme tendante à anéantir l’épiscopat ; nous croyons que l’épiscopat est essentiel au gouvernement de l’église, et que les évêques sont de droit divin supérieurs aux prêtres, même en juridiction (6).


Le presbytérianisme condamné par le concile constitutionnel n’est donc plus le presbytérianisme historique écossais qu’invoquait Charrier de La Roche pour disculper la Constitution civile du clergé, mais le presbytérianisme négateur de la supériorité de juridiction des évêques sur les prêtres que combattaient les controversistes réfractaires. En 1797, les événements ont donc réduit les chefs constitutionnels à reprendre à leur compte le langage de leurs adversaires, auxquels ils donnent donc raison sans le dire.

On touche cependant ici à l’aporie de l’expérience constitutionnelle. Les Réunis, puis le concile national réaffirment certes avec force la supériorité de juridiction de l’épiscopat, mais sans renier leurs erreurs essentielles sur la nature de la juridiction spirituelle, de telle sorte que jusqu’à sa liquidation concordataire l’Église schismatique demeure constamment soumise à la tentation presbytérienne (7).

(À suivre)

Peregrinus

(1) Louis Charrier de La Roche, Réfutation de l’instruction pastorale de M. l’évêque de Boulogne sur l’autorité spirituelle, Le Clère, Paris, 1791, p. 87.
(2) Henri Grégoire, Légitimité du serment civique exigé des fonctionnaires ecclésiastiques, Chalopin, Caen, 1791, p. 24-25.
(3) Paul Chopelin, « L’évêque et ses vicaires. Le gouvernement collégial dans la première Église constitutionnelle (1791-1793) », dans Paul Chopelin (dir.), Gouverner une Église en Révolution. Histoires et mémoires de l’épiscopat constitutionnel. Actes du colloque organisé par le Laboratoire de Recherche Historique Rhône-Alpes. Lyon, 8-9 juin 2012, LARHA, Lyon, 2017, p. 141.
(4) Jean Tolin, Grande réforme à faire dans le clergé constitutionnel, Imprimerie du Postillon, Paris, 1792, p. 41.
(5) Lettre encyclique de plusieurs évêques de France à leurs frères les autres évêques et aux églises vacantes, troisième édition, Le Clère, Paris, 1795, p. 11.
(6) Canons et décrets du Concile national de France, tenu à Paris en l’an de l’ère chrétienne 1797, Imprimerie-Librarie Chrétienne, Paris, 1798, p. 78.
(7) François Hou, « Le presbyterium en Révolution. La hiérarchie intermédiaire de l’Église de l’Ancien Régime au Concordat (1789-1801) », Page 19, 2019, p. 13-22.

     

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