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L’œcuménisme en Révolution (5) : Une Église presbytérienne et synodale ?
par Peregrinus 2019-05-26 14:25:36
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(article précédent)

Dès la réaction du curé Goulard au rapport Martineau apparaît chez les adversaires du projet de loi portant constitution civile du clergé de France apparaît un motif appelé à une grande fortune dans les polémiques religieuses de la Révolution. Le curé de Roanne accuse en effet les réformateurs d’introduire dans le gouvernement de l’Église gallicane le presbytérianisme (1). Ce motif est directement hérité des controverses antiprotestantes : pour l’abbé Goulard, le rapport Martineau substitue au gouvernement épiscopal un gouvernement synodal exercé par les pasteurs du second ordre, sur le modèle de certaines Églises protestantes. La dénonciation du presbytérianisme devient rapidement un lieu commun du discours réfractaire. Pour Barruel, les partisans de la réforme sont d’ « indisciplinés presbytériens (2) » ; la doctrine des constitutionnels, estime l’évêque de Poitiers, est « celle des presbytériens (3) ». « L’autorité des évêques, on l’enchaîne ; on la concentre dans le résultat des délibérations d’un synode presbytérien », se plaint l’évêque de Dax (4). L’organisation constitutionnelle est un « gouvernement presbytérien, anathématisé par le concile de Trente », commente de même l’archevêque de Bourges (5).

On le voit, le motif du presbytérianisme de la Constitution civile est donc récurrent. Il s’explique tout d’abord par la réorganisation du conseil épiscopal mise en œuvre par la réforme. La Constitution civile du clergé (titre I, articles 7 à 9) supprime en effet les chapitres cathédraux, qui forment d’après les décrets du concile de Trente le sénat de l’Église et le conseil-né de l’évêque, et les remplace par des conseils composés de douze à seize vicaires épiscopaux dont les attributions, à mi-chemin entre celles des chanoines et celles des vicaires généraux, restent mal définies. En effet, d’après le décret, l’évêque ne peut poser aucun acte de juridiction sans avoir délibéré avec son conseil (titre II, article 14). La loi omet cependant de préciser si l’évêque est ou non tenu par l’avis de son conseil, ce qui laisse craindre l’assujettissement de la juridiction épiscopale à un perpétuel synode délibérant.

De plus, la manière dont la loi compose les conseils se révèle problématique. Certes, alors que dans bien des diocèses, le recrutement des chapitres cathédraux échappait largement au contrôle des évêques, il revient désormais à ceux-ci de choisir leurs vicaires. La comparaison n’est cependant pas entièrement pertinente. En effet, le consentement du chapitre n’est nécessaire à l’évêque qu’en matière liturgique ; il est pour le reste largement tenu à l’écart du gouvernement du diocèse au profit des vicaires généraux librement désignés par le prélat. Or la Constitution civile remet en cause en deux points la libre délégation de la juridiction épiscopale à ses vicaires. Tout d’abord, le décret (titre II, article 23) prévoit que les curés des paroisses urbaines supprimées par la nouvelle circonscription soient de droit membres du conseil, ce qui revient à dire que l’évêque est contraint de leur déléguer ses pouvoirs. Deuxièmement, une fois nommé, un vicaire épiscopal ne peut être révoqué que par un vote du conseil (titre II, article 22). Un évêque est donc largement lié par les choix effectués par son prédécesseur et ne peut se défaire d’un vicaire qui aurait manqué à sa confiance. Là encore, la délégation forcée des pouvoirs aux vicaires épiscopaux contrevient à la nature même du vicariat général, fondé sur une décision libre et révocable ad nutum.

C’est la raison pour laquelle des canonistes qui s’étaient pourtant distingués sous l’Ancien Régime par leurs charges anti-épiscopales joignent leurs voix aux évêques légitimes pour dénoncer le presbytérianisme de la nouvelle organisation ecclésiastique. Le janséniste et richériste Gabriel-Nicolas Maultrot, longtemps contempteur de l’ « hérésie de la domination épiscopale » déclare ainsi que les évêques ont raison en droit et en fait de crier au presbytérianisme : la Constitution civile tend à instaurer dans l’Église de France la « presbytérocratie (6) ». « Anathême, et mille fois anathême, à cette doctrine des Semi-presbytériens, écrit quant à lui le janséniste épiscopaliste Jean-François de Vauvilliers contre les doctrines constitutionnelles qui admettent certes l’existence de l’épiscopat et sa supériorité d’ordre sur les simples prêtres, mais porte atteinte à sa juridiction. L’église est fondée sur l’épiscopat. C’est à l’épiscopat à gouverner l’église (7). »

(À suivre)

Peregrinus

(1) Opinion de M. l’abbé Goulard, dans Augustin Barruel, Collection ecclésiastique, ou Recueil complet des ouvrages faits depuis l’ouverture des états-généraux, relativement au clergé, à sa constitution civile, décrétée par l’assemblée nationale, sanctionnée par le roi, vol. II, Crapart, Paris, 1791, p. 403.
(2) Extrait du Journal ecclésiastique, août 1790. Ou Réfutation de l’opinion de M. Camus, dans la séance du 31 mai 1790, sur le plan de constitution du clergé, proposé par le comité ecclésiastique, imprimée par ordre de l’assemblée nationale, dans Augustin Barruel, Collection ecclésiastique, vol. II, p. 436.
(3) Réponse de M. l’évêque de Poitiers, à la lettre de messieurs les administrateurs du district de la ville de Poitiers, qui l’invitoient à se joindre à eux pour la réduction, réunion et circonscription des églises et paroisses de leur district, 12 janvier 1791, dans Augustin Barruel, Collection ecclésiastique, vol. II, p. 531.
(4) Instruction pastorale de M. l’évêque d’Acqs, sur le gouvernement de l’église, dans Augustin Barruel, Collection ecclésiastique, vol. IX, p. 301.
(5) Lettre de M. l’archevêque de Bourges, à MM. les électeurs du département du Cher, dans Augustin Barruel, Collection ecclésiastique, vol. X, p. 294.
(6) Gabriel-Nicolas Maultrot, Comparaison de la Constitution de l’Église catholique, avec la Constitution de la nouvelle Église de France. Moyen de les accorder, Dufresne, Paris, 1792, p. 252-254.
(7) Jean-François de Vauvilliers, La Doctrine des théologiens, ou Seconde partie du Témoignage de la raison et de la foi, contenant le parallele de la doctrine de M. Larriere avec celle des Protestans, Dufresne, Paris, 1792, p. 332-333.

     

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